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histoires d'hier et d'aujourd'hui
26 avril 2010

La vie devant soi.

 

Un jour de décembre 1956, je remis ma démission et quittai définitivement le bureau, avec l’idée de partir skier dans les Alpes. Je connaissais un peu le milieu des varappeurs et randonneurs en montagne que je fréquentais à l’occasion d’escalades de rochers à Fontainebleau. J’avais entendu parler de l’UNCM (aujourd’hui U.C.P.A.).  Dès les premiers jours de janvier, je m’équipai tant bien que mal et rejoignis le groupe de stagiaires à destination des Contamines. J’entrais dans un monde nouveau conjuguant ma passion pour les sommets enneigés et mon désir de fréquenter le milieu universitaire. La joie de vivre, la vraie joie, l’expérience d’un vrai bonheur, je l’ai connue au cours de ce séjour. N’entrait pas dans mes préoccupations la question de savoir de quoi serait fait mon avenir. L’idée était d’aborder l’année 1957, libre de toute contrainte. Libre ! libre ! libre ! Embauchée en juillet 1954, après une année de formation accélérée en comptabilité, j’avais déjà donné mes seize et dix-sept ans à un travail parfaitement imbécile.  Il n’était pas dans mes intentions d’y donner davantage de mon temps que je ressentais de manière cruciale comme irréversible. Les gens, dans le bureau, était supportable. Nous étions une petite équipe de filles sans problème relationnel. La hiérarchie nous laissait tranquille et je ne me souviens pas avoir été malmenée d’une quelconque façon. Je touchais un salaire convenable pour une aide-comptable qui n’avait même pas passé son C.A.P. puisque je n’avais pas l’âge requis, à la sortie de l’Ecole Pigié. N’empêche qu’une fois payés les frais de transport, le plat du midi servi au Ministère de l’Agriculture, une paire de bas une fois par semaine et le prix d’une entrée au petit bal du dimanche, il ne me restait plus un centime. Il n’était pas rare que j’aie à demander une rallonge à mon père en fin de mois pour acheter la carte d’autobus.

 

Brave fille,  pendant plus de deux ans, j’avais rempli mon rôle avec candeur dans ce bureau qui n’avait que l’avantage d’être propre et chauffé. La semaine légale était de 42h et demi et mon travail consistait à remplir des petites fiches. Le Ministère de l’Agriculture avait créé le « Centre Interprofessionnel des Fruits et Légumes », prétexte pour prélever une cotisation mensuelle sur le chiffre d’affaires des grossistes en fruits et légumes…Une petite fiche par commerçant,  il y en avait des centaines. J’ai quitté le CTIFL, sans regret et sans gloire, sans perspectives professionelles. Je ne me sentais ni bien ni mal. Juste comme s’il ne s’était rien passé d’important.Vivre autrement, tel était mon objectif dans l’immédiat. Je n’ai rien dit à mes parents qui ne connaissaient rien à ma vie et n’essayaient pas d’y comprendre quelque chose.

 

Dans notre équipe de skieurs, Il y avait des gens qui pratiquaient l’escalade au sein du Groupement universitaire de Montagnes et de Ski, à majorité communiste.  Au chalet de l’U.N.C.M. après l’ivresse folle des descentes, l’heure du thé nous réunissait autour de la table où les discussions étaient passionnées. Je fis la connaissance de Nadine, communiste convaincue. Rentrée à Paris, elle m’introduisit auprès du délégué français du Mouvement Mondial de la Paix qui avait son siège à  Vienne (Autriche) . Ils cherchaient une dactylo bilingue anglais/français. Je me portai candidate. La conviction idéologique y était pour quelque chose, mais pas seulement. C’était une question de survie : échapper à mon environnement familial.

 

Les conditions de mon séjour à Vienne étaient idéales. L’Organisme, financé par Moscou, gâtait ses sympathisants. Dans ce pays, tout récemment libéré des occupants nazis puis des troupes alliées et qui tentait enfin de retrouver sa légendaire gaieté, nous étions des privilégiés.  J’étais royalement logée, bien payée, bien considérée.  Je dactylographiais sur des stencils des pamphlets que nous communiquaient les mouvements révolutionnaires des pays en voie d’émancipation, qui étaient ensuite renvoyés sous forme de bulletin dans toutes les directions,  pour la bonne coordination des luttes contre les Pouvoirs en place. L’Organisme nous emmenait en voyage et nous logions dans les meilleurs hôtels tous frais payés. Prague, Budapest, Moscou, Helsinki, où nous bénéficions du meilleur accueil, Les dimanches étaient consacrés à l’escalade, le ski, les balades en forêt viennoises.

 

Ce fut là une de mes premières échappées.Il y en a eu d’autres plus ou moins heureuses. Après deux ans de liberté, de plaisirs et de bonheurs, j’ai quitté l’Autriche pur retrouver la sinistrose parisienne et une famille en dérive. Je ramenais dans mes bagages mon futur mari qui n’avait aucun avenir ni à Vienne ni à Paris. Un nouvel épisode s’amorçait, celui-là pas rose du tout, jusqu’au prochain volte-face…

 

Manie des volte-face, désir de vivre autrement, échapper à la  routine, m’extraire du milieu bureaucratique auquel je me trouvais régulièrement enchaînée ont fait que ma vie s’est déroulée en dents de scie. Des petits bonheurs suivis de phases contraignantes et routinières mais aussi de rencontres et de séparations et pour finir, une dernière ligne droite pas vraiment un long fleuve tranquille.

 

"La Vie devant soi" est un roman de Romain Gary

 

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Commentaires
F
Bonjour Marie,<br /> Je vois que tu es rentrée toi aussi de Bains les Bains...J'espère que tu as retrouvé avec plaisir "ton chez toi" et la vie Parisienne.<br /> Je viens de lire ces pages avec délice...Je suivrai ton blog afin d'y découvrir cette merveilleuse écriture...Notre rencontre aura permis la création de ce blog, où tu trouveras certainement le moyen d'exprimer ce qu'il y a en toi, et je sais que cela fait du bien..Je serai une de tes fidèles lectrice crois moi..<br /> Je te souhaite une belle journée. N'hésite pas à m'écrire et à me parler, lorsque tu le désireras..Bisous
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