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histoires d'hier et d'aujourd'hui
2 mai 2010

Rites d'amour

Pierre et moi, nous ne vivons pas ensemble et le partage d’un logement commun pendant les vacances est l’occasion d’un apprentissage jamais acquis, jamais à l’abri de quelque conflit imprévisible. Nous n’avons toujours pas le mode d’emploi bien qu’avec l’expérience des deux dizaines d’été passés ensemble, je me sois établie quelques règles à l’usage de notre couple.

Le lit est l’autel de la communion physique. Je m’offre, il s’offre, nous nous offrons. Nos échanges intimes font la solidité de la toile invisible nous liant l’un à l’autre. L’espace d’un moment, nous faisons ensemble le sacrifice de notre ego pour laisser monter au ciel les effluves de nos jouissances. Chez moi, cette messe païenne se déroule le dimanche après-midi à partir de 15 heures, après le repas. Elle constitue la pierre d’angle de l’édifice qu’est notre relation. En vacances, comme tous les jours sont des dimanches, nos repères temporels sont perturbés. Avant de pouvoir remettre en place les rites de nos amours, il est déjà temps de faire nos bagages. Dès que nous regagnons nos pénates en ville, nous retrouvons le cadre de nos ébats.

 

Il y a le rituel du lit et celui de la table. La composition des repas, pendant les vacances,  fait l’objet de graves divergences. L’heure n’est pas en cause, nous aimons nous mettre à table tous les jours à la même heure et n’aimons ni lui, ni moi, en retarder le moment. La première préoccupation de Pierre lorsqu’il arrive dans une localité de vacances est de repérer la « superette ». Pour ma part, je suis attachée au marché local et ses produits régionaux.  Pierre privilégie le repas tout prêt, fabriqué industriellement et vendu sous vide. alors que je prendrais plutôt plaisir à acheter du poisson frais à la criée. Cette année, à Douarnenez, nos convictions se sont heurtées. Pierre a eu besoin de s’affirmer. Il a vécu mes initiatives comme un ostracisme idéologique. Lui confier les approvisionnements était la seule façon d’apaiser sa fureur.

Les soirées débutent  par les « Nouvelles de 20 h ». Y assister ensemble, tous les deux enlacés sur le divan, est une façon de nous ressouder. Il est vrai que je pourrais me passer d’actualités télévisées, mais pas lui. Après la vaisselle du dîner, la flânerie romantique sur les quais du port avec coucher de soleil n’est pas au programme : il s’agit de ne pas manquer les émissions de la soirée. Quant à moi, je me retire dans la chambre pour lire au lit : j’ai toujours une lecture en cours.

Nous avons aussi nos tabous. La parole, la vraie parole sur les choses essentielles n’a pas sa place entre nous. Commenter le comportement des tiers est notre sujet de conversation favori dans lequel nous nous sentons à notre aise et en bonne entente. Commenter moi son comportement et lui le mien est le signal qu’une scène va se déclencher. Aborder le thème des sentiments est le comble de l’indécence et de l’incongruité.  Le risque est d’ailleurs de tomber dans le gouffre de l’indicible, mieux vaut s’en écarter.   

A Douarnenez, port du bout du monde, je me remplis les yeux et les narines de ciel et d’océan. Cette attitude de vénération pour la nature agace Pierre ;  il voit là une manière de me donner un style zen. Il semble éprouver une insurmontable angoisse lorsqu’il me voit ralentir le pas et rester en contemplation devant un site. Mon désir d’aller jusqu’à la Pointe du Raz a suscité chez lui une explosion de rage.

Pointe du Raz_1

Dans notre relation où seul la libido est engagée, des scènes font régulièrement irruption dans notre train-train. A Douarnenez, les accès de violence surgissaient presque toutes les vingt-quatre heures, Pierre me percevant comme la mère castratrice et moi percevant Pierre comme le mauvais père. Il fut une époque où j’imaginais que ces accès nous mèneraient à une rupture définitive. Je me trompais. L’orage passe ; les séquences de violence sont accueillies avec magnanimité, d’autant plus qu’il y a alternance, tantôt lui, tantôt moi. Pierre qui aime se présenter comme un homme raisonnable et maître de lui, ne peut pourtant réprimer des irruptions de rancœurs à l’occasion desquelles je sers de bouc émissaire. Il offre alors une caricature de lui-même à travers laquelle perce un profil de goujat qu’on ne lui soupçonnerait pas. Quant à moi, j’égrène ma litanie de la femme mal-aimée plaidant pour plus de considération.

Au milieu de tout cela, il y a ma petite chienne Léonie. Elle attire sur elle les manifestations d’amour que nous ne nous donnons pas l’un à l’autre. Avec son charme, son intelligence, son innocente quête de caresses, elle crée autour d’elle un monde de soins quotidiens, d’attentions assidues, de petits bonheurs dans lequel notre couple trouve son accomplissement. Sa préférence va pour Pierre dont la sensibilité monte de plusieurs crans, tant l’adoration que Léonie a pour lui le touche au cœur. Aujourd’hui le 27 décembre, Léonie est morte. Cette belle âme nous a quittés. Nous vivons ensemble un authentique chagrin et si Léonie ne réussissait pas à harmoniser nos habitudes de son vivant, sa mort  aura libéré des émotions que nous partageons avec la même solennité. La souffrance que nous cause la perte d’un être cher nous atteint avec la même acuité.   

A nouveau, j’ai adopté un autre caniche, Rumba, une femelle, qui affichait sa préférence pour Pierre. Je vivais dans la croyance que les derniers pans d’une relation agonisante allait encore résister longtemps et pour toujours au-delà des 26 ans passés ensemble : Pierre entretenait un sursis avec une ténacité rassurante. Je me trompais. Une veille de vacances, en 2004 exactement, Pierre a pris la route du Sud avec une Lisa, alors qu’ensemble, nous prenions tous les étés la route de Normandie. Le château de cartes s’est écroulé. Il me reste en mémoire une poussière de mauvais souvenirs et pourtant je pleure.

 

 

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Commentaires
F
Encore un délicieux moment à lire tes lignes...Disd moi,!!!les vacanses ce n'est pas du tout repos pour toi.....Bisous et à bientôt
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