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histoires d'hier et d'aujourd'hui
26 novembre 2010

La douleur des autres

J’ai publié le récit  (1) d’une cruelle expérience que je me remémore toujours avec la même émotion. Un chaton enfermé dans le four d’un poêle Godin est mort brûlé dans d’effroyables souffrances. Nous, les enfants,  entendions les cris atroces et cherchions partout d’où ils pouvaient provenir sans penser au four dont la porte était fermée. Douleur qui a marqué mon enfance, comme a pesé sur mon devenir la profonde détresse de ma mère. La douleur est en moi permanente que certains évènements font ressurgir,  bien que profondément enfouie sous des strates de souvenirs heureux.

 Le  « Monde des Livres » du 5 novembre 2010, rend compte, sous la plume de la journaliste Fabienne Dumontet,  de l’œuvre littéraire d’Agnès Desarthe. qu'elle cite  : « Enfant, j’ai hérité du chagrin de ma mère qui a perdu son père à Auschwitz. Cette peine qui ne me touche pourtant pas directement est là dans mon trousseau « expliquant ainsi une sensibilité exagérée aux malheurs des autres. Dans mon cas, il ne s’agit pas de « trousseau » mais d’une transmission de mère à fille lourde de conséquences sur mon destin.

 A propos de son dernier livre « Dans la nuit brune » (2) Agnès Desarthe parle de « recyclage » du chagrin d’autrui… « Recyclage », terme inapproprié que je déplore. Peu importe si ce n’est pas le mot que j’emploierais, l’idée raisonne en moi et j’y adhère.

 Selon le commentaire, il s’agit pour Agnès Desarthe d’illustrer notre incapacité d’apporter une consolation aux âmes en détresse.

 

Dans mon enfance, j’ai vécu l’écroulement psychique de ma mère au lendemain de la guerre. Rentrée dans sa maison avec son mari et ses enfants, après être passée à travers tous les dangers de l’Occupation nazie, elle a réalisé que toute sa famille restée à Varsovie avait été raflée et exterminée. Enfant nous tentions de dissiper son profond mal-être avec nos jeux , nos chansons, nos danses, sans vraiment y réussir. Mon esprit a été imprégné d’une tristesse morbide, masquée par une réelle joie de vivre et une curiosité insatiable, qui à l’aube du « grand âge » s’est muée en une douloureuse maladie incurable. 

 Plus que le compassionnel, c’est l’empathie qui me pousse vers les gens en souffrance. Souvent, je me suis demandée si cette forme d'émotionnel n’était pas une forme de masochisme qui satisferait ma propension à plonger dans les régions obscures de mon âme,  et si une bonne thérapie ne me débarrasserait pas de cette attirance destructrice vers les êtres  névrosés, en errance dans un Société dont ils ne savent pas tirer partie.  J’ai fait quelques démarches de caractère thérapeutique de courte durée.

 Une rencontre récente m’a bouleversée, virant à l’obsession.  Il y a quelques jours, j’ai croisé un homme, assis sur une marche, la tête dans les mains.  C’était le soir, près de chez moi. Je promenais mon caniche dans le parc. Il faisait déjà nuit.

 

C’était un homme jeune. Je m’approche.

 

Moi - ça ne va pas ?

Lui – non, je suis mal.

M – c’est physique ou moral ?

L - ma femme m’a quitté

 

Il enlève ses mains du visage. Je vois mal ses traits dans l'obscurité. Il pleure comme un enfant. 

 

M – où est-elle votre femme ?

L – là-bas chez ses parents.

 

Il désigne une direction. Ce doit être dans le voisinage.

 

M – Et vous, d’où venez-vous ?

L – de Ponto-Combô.

M- vous êtes venu comment jusqu’à Domont ?

L – avec ma camionnette.

 

Il y a une camionnette blanche garée tout près.

 

M- vous n’avez pas de famille ?

L – Non. Mes parents sont morts. Je suis tout seul.

 

Il répète plusieurs fois : » je suis tout seul » d'une voix complètement dévastée.

 

M-de quel pays venez-vous ?

L- du Portugal.

M- mais je ne comprends pas, les Portugais vivent en famille, ils se font des amis, ont des Associations, pleins d’activités. J’ai des amis Portugais, il y a beaucoup de familles portugaises à Domont.

 

J'essaie de lui redonner un peu de tonus.

 

L- Je n’ai pas d’amis. J’ai personne. J’ai vécu rien que pour elle pendant cinq ans. C’est ça les filles, toujours plus d’argent, jamais assez. Toutes pareilles. Je l’ai senti venir.

 

M.-quel âge avez-vous ?

L- 23 ans

M – et Elle ?

L – 21

 

L’Eglise est tout à côté. Le prêtre de la paroisse passe. Il me connaît, il me salue.

Evidemment, je ne vais pas l’arrêter pour lui dire que quelqu’un a besoin d’aide. Il n’en fait pas plus que le contraint son ministère.

 

M-vous êtes croyant

L- je ne crois plus à rien. J’en ai assez. Je veux en finir. Je l’aime…

 

M-. vous voulez venir boire un thé bien chaud chez moi. J’habite à deux pas.

L- non non !

 

Il est dans sa détresse, ne veux pas en sortir.   Je suis dans le désarroi et ne sais pas quoi faire. Bien sûr, pas question de le toucher, de caresser ses cheveux. Pas de réconfort possible. Les larmes me montent aux yeux. Je vais craquer. Nous n’allons quand même pas pleurer à deux !

 

Soudain, la fille s’amène d’un pas rapide. Elle sort de je ne sais où. La voilà plantée devant nous, la clope à la main, à l’aise dans ses baskets, un petit sourire narquois.

 

M -  Ah !  voilà la fiancée !

Elle-  qu’est-ce qu’il vous a raconté ?

M-  rien, rien…

 

Elle sort certainement d’une maison dans le voisinage, de chez ses parents peut-être. Elle vient  voir où en est son souffre-douleur…

 

Lui ne se met même pas debout. Reste prostré. Aucun sentiment n’éclaire son visage, pas une lueur de joie. Je suis mal à l’aise. Encore sous le coup de l’émotion. Je lui dis :

 

M. - Il est désespéré. Qu’il ne fasse pas de bêtise.

 

Je me sens ridicule à jouer les mamans. Elle garde son sourire supérieur, presque triomphant.  Je la déteste.

 

Avec un air de grande dame :

 

Elle- Vous pouvez nous laisser seuls ?

 Evidemment, je  ne vais pas m’incruster. Maintenant qu’elle est là, à elle de jouer.

 Je m’éloigne à regrets, sans me retourner, en pensant qu’elle va l’achever...

 

Je passe plusieurs fois par jour devant les marches où il était assis et je ne peux oublier l’homme qui pleurait. cette jeune femme cruelle n’a sans doute pas subit de déchirements intimes comme de voir pleurer sa mère pendant son enfance, à cause de grands-parents disparus; une gamine  qui a sans doute une famille chaleureuse,  des copines qui la soutiennent. Elle n'a pas le coeur d'adoucir la solitude de cet homme, qui a été son amoureux pendant cinq ans, qu’elle lâche maintenant comme un objet inutilisable. Elle regarde avec un sourire dédaigneux cet homme effondré, même pas capable de se mettre debout.

 

(1) "douleurs lancinantes" texte publié le 2 mai 2020 -page 5.

(2) Je n'ai pas lu le livre.Je n'ai lu que le commentaire dans "Le Monde des Livres".

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Commentaires
F
Toujours aussi bien écrit....on vit avec toi la situation comme si on y était...
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