Au cœur des ténèbres

Le roman de Yehoshua Kenaz (1) met en scène un groupe de conscrits enrôlés dans l’armée israélienne, pour faire leurs classes. Ils sont de diverses origines sociales et culturelles, partagent le même dortoir. Ils s'appellent Michy, Zaki, Alon, Miha, Avner ...et les autres.Les sanctions les terrorisent. Soumis à l’arbitraire, ils sont malades de peur. Ils se soudent dans leur haine contre  les instructeurs cruels et perfides, se dessoudent face à leurs divergences internes, s’opposent les uns aux autres avec violence, se ressoudent dans des fou-rires inexplicables de gamins, s’échangent des confidences pendant les gardes, les pauses, les opérations sur le terrain.  On palabre, on s’esclaffe, on se moque, on crache sa colère, son mépris,. Chacun tente  de sauvegarder son identité dans cet univers de fous, organisé pour les mettre à l'épreuve, certes, mais en même temps, les détruire.

Il sont rassemblés en Base 4, section des faibles. Micky,  footballeur connu, a un souffle au cœur, de même Hérisson, Alon a été jugé faible du cœur sans preuve alors qu’il souhaitait s’enrôler dans les paras, Miller, lui est épileptique, Double-Zéro est de santé fragile. Ils savent qu’aucun n’intégrera l’armée de choc qui fait la fierté d’Israël. De la part du caporal, ils subissent les invectives les plus indécentes : « ….Vous êtes de la chair pourrie, puante, pleine de vers. Des charognes. Les appelés que vous venez de voir sont des soldats d’infanterie… Ils sont formés pour être des combattants, ils n’ont pas un profil déficient comme vous….Quand ils verseront leur sang pour la patrie, vous serez en train de végéter dans vos planques…Mis à part vos maladies, vos épilepsies et vos problèmes sexuels  y-a-t-il encore des cas  psychiatrie. Mais où sont-ils allés vous pêcher dans les poubelles de l’Etat d’Israël ? « 

En  exergue de l’ouvrage, Kenaz cite Joseph Conrad un extrait du livre « Au cœur des Ténèbres » (2) : « « ….non, c’est impossible ; il est impossible de communiquer la sensation vivante d’aucune époque donnée de son existence - ce qui fait sa vérité, son sens- sa subtile et pénétrante essence. C’est impossible. Nous vivons comme nous rêvons-seuls… » Les garçons de la Base 4, eux, parlent, agissent, se soumettent, se rebellent  sur 529 pages...Le narrateur, celui qui dit "Je" est  Mlabess. Il  discourt avec lui-même,  met en mots ses pensées,   nobles ou mesquines, se raconte les évènements dramatiques ou insignifiants.

Le roman tout entier est traversé d'angoisse, celle de l’écrivain  qui projette son extrême sensibilité sur ses personnages, et exprime sa haine de l'arbitraire et l'injuste.

Le film réalisé par Dover Kosashvili d'après le roman,projeté à Paris dans le cadre du Festival du film israélien, trouvera peut-être une salle prochainement, ce qui n’a pas été possible en Israél.

On est loin de l’idéal d’un Yigal Allon. Né en 1918 dans un famille sioniste, il se consacre  à l’agriculture  dans un kibboutz , est nommé commandant en chef du  « Palmakh », intégré dans Tsahal(3) à la création de l’Etat d’Israël. En 1956, il est élu député à la Knesset, entre au gouvernement comme Ministre du Travail,   et en 1969 Ministre de l’Education. En 1977, un de ses livres est édité : "Israël :La lutte pour l’espoir ». Dans cet ouvrage,  Yigal Allon trace un profil idyllique de la relation entre instructeurs et conscrits :« L’humiliation le prive d’une des qualités les plus importantes du futur combattant : la dignité. Le choix des instructeurs est donc essentiel…ainsi que la qualité des relations entre commandants et subordonnés…étant donné que l’expérience est « un véritable rite de passage de l’adolescence à l’âge adulte ».(3)

Israël accueille au sein de Tsahal(4) des volontaires issus de la diaspora sous le label « Le volontariat civil en Israël ». pour un séjour de quelques jours.

Il y a quelques années, j’ai répondu à l’invitation. Certainement, si je n’étais pas invalidée par une maladie(5), je referais  l’expérience avec bonheur. Le séjour spécial du 1er au 12 mai offre un programme de  fêtes, cérémonies ainsi que des visites et des rencontres, en contre-partie de quelques jours de bénévolat dans une base militaire: une exaltante expérience.

Les soldats de Tsahal,  je les ai vus de près, dans leur base. J' ai vécu une atmosphère bon-enfant, et surtout, à l'égard des volontaires

francophones,  enthousiastes sans modération,  un accueil généreux, une remarquable considération. Les ennemis d’Israël n’imaginent pas que cette armée tant calomniée est faite de gamins, déracinés de leur milieu familial (6) , contraints d’affronter la violence et l’arbitraire, en raison de la situation géo-politique du pays. 

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      (1)   « Infiltration » Edité en version française en août 2003 chez Stock

(2)   « au cœur des ténèbres » de Joseph Conrad – page 122 Edit. GF Flamarion 1989

(3)   "Israël, la lutte pour l'espoir" page 147-Edit. Stock 1977 

 (4)  « Tsva Hagana Léisraël – Armée de Défense d’Israël

(5)   Polyarthrite rhumatoïde

(6)   Voir « Retour des Amours perdues » , le cas Eyal.