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histoires d'hier et d'aujourd'hui
21 mars 2013

Le gout des livres

La rentrée scolaire de 1943 fut un traumatisme. L’Ecole Saint-Jean desservait plusieurs villages dont Cosquéric (1)  où nous étions réfugiés pendant l‘occupation allemande. J’appris à lire pendant les vacances d'été. Au  CP, je lisais couramment mais il m’a fallu de longs mois avant d’être capable d’écrire une ligne, correctement, sans ratures et sans tâches, ce qui me causa de nombreux déboires  et humiliations pendant les deux ans que j’ai passés dans cette école détestée. 

De retour dans notre ma banlieue en 1945,  j’intégrai le CE à l’Ecole Jules Guesde à Blanc-mesnil (2). Marie

Il y avait dans la classe un placard à portes vitrées habituellement  fermé à clef. Un jour par semaine, c’était la distribution des livres. Ceux récemment acquis m’étaient attribués en priorité . Pour des raisons qui n’appartenaient qu’à  elles, les institutrices avaient toutes les attentions pour moi, malgré mes cahiers mal tenus et leçons souvent non apprises. Elles m’ont même désignée pour un Prix d’Excellence  : un événement.  Je suis montée sur l’estrade pour être félicitée par des Messieurs très importants. La récompense fut un livre   : »Pic à la Baleine », dont je ne me souviens pas l’auteur. Savoir si cet événement explique mon récent engouement pour Herman Melville et son « Moby Dick ».                                                                                        

                                                                                                               

Alberto Manguel, dans son livre « Une histoire de la lecture »,(3)  brosse un panorama de l’acte de lire en toutes circonstances, à travers le temps, les lieux,  agrémenté   de souvenirs et des préférences personnels.

 A une époque déraisonnable de ma vie où je voyageais dans l’imprévoyance, mon bagage était lourd de livres et léger en mesures de prudence. Lors d’une virée en auto-stop vers le Sud, j’emportai dans mon sac à dos un Dostoïesvki lourd et volumineux. Le jeune camionneur qui m’embarqua était jeune et séduisant. Je tombai immédiatement amoureuse de ses yeux bleus. A trois heures du matin, il arrête le camion pour quelques heures de sommeil. Je m‘allonge à ses côtés sur l’ étroite couchette, à demi nue.  Arrivée à destination, j’oublie  de remporter mon livre. Le jeune camionneur ne me le renvoie pas. J’ai dû en racheter un exemplaire pour le restituer à la Bibliothèque municipale. Par contre, il m’adresse une carte postale représentant une jeune femme prête à se mettre au lit, déposant ses faux seins sur la table. Ce jeune homme, en plus d’être un parfait gentlemen avait de l’humour….

 Le 2 mars 1957, j’écrivais dans mon journal : » J’ai lu les deux premiers  tomes de « A la recherche du Temps perdu ». Je ne me suis jamais demandée pourquoi, à vingt ans, je trouvais mon bonheur dans Proust. Plus tard, j'ai relu « A la Recherche… » dans les trois tomes de La Pléiade. Juan Goytisolo (4) exprime son bonheur de lire   « Guerre et Paix « :  dans ces termes « (il) m’a ouvert à une réalité différente dans laquelle les passions humaines s’épanouissent sans contrainte, sans jugement explicite ni implicite  dans un climat de liberté où le bien et le mal ne dépend pas d’un code extérieur imposé et intangible « . J’aime rencontrer au détour d’une lecture une pensée, une émotion, un sentiment qui font écho à mon ressenti mais que je ne saurais  exprimer si bien.  A une époque où accéder à la culture était le privilège des « happy fews », reculer mes limites ne m'était possible que par la lecture. J’enchaînais avec la série des « Thibault » d’Henri Martin du Gard et les « Jean Christophe ». de Romain Rolland, avec aussi une prédiléction pour les auteurs russes. Dans la commune de Blanc-Mesnil, l’idéologie était communiste, ce qui a d’ailleurs été déterminant au cours de mon existence.

 Un livre n’est plus pour moi un objet de consommation que j’avalerais goulûment. Lorsque je prends un bouquin en main,  je l’examine sous tous ses aspects : le format, le poids, les caractères, la couleur du papier. J'ai beaucoup lu dans les transports mais depuis de nombreuses années, j’en ai fini avec le rituel "boulot/dodo" . Maintenant, d'autres occupations remplissent mes journées : je lis au  lit, à la lumière électrique. 

 Proust (5) déplore les années perdues, les capacités intellectuelles inutilement utilisées  « à la poursuite .d’éventuelles rencontres avec des hommes illustres « , alors que  les livres nous sont toujours ouverts.  Dans les années soixante dix,  à l’époque des « groupies »,  de la parole libérée et des relations sans tabous , rencontrer des gens était un mode de vie. J’ai  côtoyé beaucoup de monde ; d’amies j’en ai eu quelques-unes, elles se sont évaporées au fil des ans. Lire dans la solitude, comme voyager seule, sont pour moi des expériences bien plus enrichissantes qu’accompagnée.

 J’ai lu dans une récente parution du  «  Monde des Livres » un article sur Denis Grozdanovitch. La lecture de son  « Petit traité de désinvolture » m’avait laissée dubitative.  L'écrivain était hier soir dans l'émission télévisée "La Grande Librairie" pour présenter son récent ouvrage : "La puissance discrète du hasard »". J'aime bien le titre mais suis réservée sur le contenu :  snob et trop brouillon à mon goût. Il fait la démonstration qu'il détient un savoir encyclopédique et abreuve le lecteur de citations. Quant à son style et son vocabulaire , ils sont ridiculement emphatiques

Il développe les concepts  "sérendipité" et "Happenstance" pour désigner les évènements qui surviennent sans qu'on les ai cherchés, et qu'on appelle communément "hazard" ou coïncidence. Chacun peut observer le phénomène dans son vécu.

J’ai  la chance d’attirer vers moi les œuvres avec lesquelles j'ai une certaine proximité; elles me tombent dans les mains. A propos du hasard, un titre s’est mis à clignoter quelque part dans l’air,  « La lettre écarlate » de Nathaniel Hawthorne, une merveilleuse expérience.  A peine le livre fermé, j’aspire à me procurer le suivant. C’est le commencement d’une nouvelle passion.

 Mes amours, je les vis dans la littérature. Des attachements, j’en ai plusieurs  et compte en avoir encore beaucoup d’autres. Yehoshua Kenaz (6), Herman Melville, Virginia Woolf, et très récemment Isaac Babel dont le sort fut tragique (7)), sont mes récentes rencontres .  Les   biographie me rendent les écrivains très proches.

 Ma curiosité est insatiable, mon désir d’exploration jamais assouvi. Le  sentiment que les sources où je me nourris ne seront jamais taries sont le moteur  qui me fait aller de l'avant.

GROZle gout des livres

BABEL

 

 

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 (1)   texte « la plaque du souvenir" - 16.08.2010

(2)   texte Madame Boissière   frappe dans ses mains » - du 14.01.2011 - photo de l'époque

(3)   Ed. Babel - mars 2000

(4)   Ed. Fayard 2003 – page 62-63

(5)   “Sur la lecture” “Ed. Sillage – 2011

(6)  voir texte "Paysage autrois arbres" 30/11/11 - "Retour des amours perdus" 11/03/11

      "au coeur des ténèbres" 8/04/11

(7)   Ed.José Corti  - 2002

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