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histoires d'hier et d'aujourd'hui
28 avril 2013

Quand le rideau tombe

 L’écrivain, Marcel Proust avait 39 ans lorsqu’il entama l’écriture de « La Recherche ». L’expérience de la  madeleine (2) a fait surgir en sa mémoire tout un pan de son enfance. Dix années de travail pour réaliser sa grande œuvre :  une recherche minutieuse de son passé,  transposé dans un roman fleuve. Marcel Proust est mort en 1922  alors que beaucoup de ses écrits furent édités à titre posthume.« La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c’est la littérature ». C'était son credio.

PROUSTPour moi, écrire pour explorer les séquences de vie qui me reviennent en mémoire, tenter de les  remettre dans leur contexte, écrire pour me réapproprier les souffrances de  l’enfance, pour  évacuer la honte d’un environnement dégradant.. 

  Au crépuscule de notre vie, le rideau se lève sur le lieu où s’est déroulé notre lointain passé.    Une chansonnette  en a été l’occasion. J’avais deux balles dans les mains, avec l’intention de jongler pour épater mes petits enfants et puis soudain elle m'est venue aux lèvres.

 J’ai des roses, demi-closes

 Du muguet et du jasmin

 Jeunes filles, si gentilles

 Parcourez votre chemin

 Jasmin !

 

 Petites filles, nous la chantions en boucle,  pour garder le tempo du lancé contre le mur de notre maison.

 Cette maison que mon père avait fait bâtir en parpaings donnait sur un terrain jonché de vieux métaux,  barres de fer,  et toutes sortes d’objet hors d’usage, dont il faisait commerce, juste après la guerre. Y faire pousser quelques fleurs était une entreprise vouée à l’échec (3) . Sur trois pièces en enfilade aux murs nus, deux étaient meublés de lits, l’autre servait de cuisine avec table et chaises pour les repas.

Plus tard, mon père fit construire, en prolongement, un local de bonnes dimensions qu’on appelait « la boutique » . Il était content ; il avait créé un magasin, « pignon sur rue » en quelque sorte, avec une porte en partie vitrée et une ouverture qui pouvait passer pour une vitrine donnant sur le trottoir.  Le volet n’a jamais été ouvert. Ce local était réservé  à sa marchandise.  Outre des paquets de fripes, il y avait installé  un piano déglingué sur lequel j’étais censée pratiquer des gammes.  Il y avait aussi une machine à coudre sur lequel ma sœur aînée était courbée des heures entières à réparer des « surplus  », vêtements laissés par l’armée américaine qui, une fois recousus étaient vendus sur les marchés de banlieue. Les gens se les arrachaient. Durant toutes ces années, il n’y eu dans cette boutique qu’un seul client. Des gens du voyage,  atterris  chez nous,  et y avaient trouvé leur bonheur.

 C’était une maison laide et sans âme. Les disputes étaient quotidiennes, violentes et incompréhensibles pour nous qui ne comprenions pas très bien l’Yiddish. Il y régnait un désordre accablant. (4) Y échapper était une question de survie. Par bonheur, nous avions toute liberté de vagabonder. Dès l’école terminée, nous étions dans la rue et dans les champs, quelque fois jusqu’à passé minuit. On ne se préoccupait pas des absents.

 Notre rue s’appelait  la « rue des champs » ; elle était bordée de pavillons, agrémentés de jardinets. Il n’y passait personne ni même une voiture – sauf le camion des boueux, et quelquefois,  le livreur de bière dans sa lourde charrette tirée par un vieux  cheval. Il y avait aussi quelquefois, en plein été, un vieux marchand de glaces qui passait devant la maison. Ses cornets ne contenaient que de l'eau congelée, vaguement parfumée.  

 Outre les hangars de tôle au fond de la cour, mon père avait fait construire une écurie pour son cheval, aussi délaissé que nous, lorsqu’il ne tirait pas la charrette dans les rues de Paris (5).  Un jour, par désespoir, il s’est enfuit . Nous réussîmes à le rattraper,  galopant sur la route de Flandres. 

 Après avoir connus les logements vétustes des premières années d’exil,(6)-- après deux ans passés entassés à sept dans une chaumière rustique (7), cosquéricavoir réintégré sa maison épargnée par les bombes, avec sa famille au grand complet,  mon père était un homme heureux. Heureux alors que ma mère souffrait, moins douée que lui pour le bonheur. Lui donner des moyens pour alléger sa condition ne lui venait pas à l’esprit. Elle se devait d’être contente et nous aussi.

  Avec ma sœur cadette,  nous nous amusions d’un rien, lisions de vieux journaux, utilisions, pour nous vêtir les fripes que mes parents vendaient dans leur stand du Marché aux puces. Nous nous donnions des occasions de rire. à tous propos. L'Ecole primaire était un lieu d'ancrage, où nous nous sentions exister. 

  Fin des années cinquante, nous avons déménagé. Mon père a acheté un pavillon près  de la gare de Pierrefitte, ce qui nous a facilité les transports sur Paris, à ma sœur et à moi-même qui travaillions dans les bureaux. Etre à Paris en quinze minutes, signifiait accès facile à l’emploi, à  la vie culturelle, aux soirées entre amis. La résilience(8). Reste un sentiment de honte, confus, inexprimable. Les relations entre nous, frères et soeurs, ne s’en sont jamais vraiment remis, ni même  notre relation au monde.   

 

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        (1)     « Et quand le rideau tombe » est le titre du dernier livre de Juan Goytisolo,  Edité   en août 2005. Goytisolo est né en 1931

(2)     Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût, c'était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray …………….ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté « A la Recherche….. »  Du côté de chez Swan TO.I pp 44-48 - voir article Page 28 DE LA REVUE PHILOSOPHIE" hors série

 (3)     « Les poêles Godin »   -29/04/2010

 (4)     « douleurs lancinantes » - 10/05/2010

 

(5)     Le vélo de notre enfance –texte du 10/05/2010

     (6) Berek et Rywka

(7)     « un soldat de la Wehrmarcht  - 28/05/2010

         "Madame Boissière - 14 janvier 2011

 « on préférait les étrangers » - 19/06/2010

                 « une famille à l’abri des tempêtes – 01/05/10

              « une enfance heureuse » - 15/05/2010

               «   La plaque du souvenir »  -

               (8)  « tous résilients » - 30/10/12


                   voir aussi "mon père, l'antihéros" - 26/08/10

                                      "un père en question" - 9/5/2010

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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