Sur le parking du Leader
Une cliente présente une boite de haricots à encaisser. Elle n’a pas de quoi payer un euro cinquante. Elle ressort sans le produit, sa petite fille courant derrière. Je la rattrape et lui offre deux euros. Elle retourne à la caisse, paie et sort précipitamment pour s’engouffrer dans sa voiture, une grosse calibrée, sans un regard pour moi qui traîne mon caddie jusqu’en haut de Domont.
Une de mes connaissances traverse la place comme une flèche. Elle ne m’a pas vue ou fait semblant. A une époque, sur le marché du dimanche, nous parlions de nos fils, amis depuis l’adolescence . Elle se préoccupait aussi beaucoup de sa petite fille, de santé fragile. Depuis, son fils a divorcé. Le vendredi suivant, nous nous croisons à nouveau. Elle stoppe devant moi et nous entrons en conversation. Elle se confie ; elle a l’impression que son fils ne l’aime plus alors qu’elle a toutes les attentions pour lui ; elle s’approvisionne chez le meilleur boucher de la ville. Pas un compliment, et pour cause le fils en question lutte contre son addiction aux bons petits plats jusqu’à se soumettre à des séances d’hypnose.
Un homme est assis sur une traverse, près des chariots ; il attend paisiblement le bon vouloir des gens, sans quémander ostensiblement. Il fait chaud. Je lui ai donné une petite bouteille d’eau et deux euros. Nous avons un peu discuté : il est guinéen, sans papiers, sans parents ni amis. Il regarde les gens, aide à l’occasion une cliente du Leader à remplir son coffre et reçoit une pièce en retour. Il est d’un aspect agréable, je le salue et lui sourit. Le vendredi suivant, la place est prise par un vieil homme à l’aspect pitoyable, un petit chien très mignon à ses pieds. J'y vais de ma petite bouteille d’eau et de mes deux euros. J’arrive à lui arracher un mot : Oran : Algérien donc ? il acquiesce. Depuis une voiture, on lui tend une pièce; il accourt, tend son gobelet, et joint les mains frénétiquement sur son coeur , avec maintes petites courbettes et balbutiements de remerciements. Le vendredi suivant, je reste à distance. Le Baladin est stationné sur le parking et le chauffeur charge nos caddies un par un. Je lance un regard rapide vers le quémandeur et je vois son visage tendu vers moi avec un expression désespéré. Depuis, l'image de sa détresse ne cesse de me poursuivre. Quand même, au prix de 2 euros, j'aurais pu m'éviter un tel cauchemar.
J’aperçois une dame, les quatre-vingt ans largement dépassés. Elle habite rue Sainte-Thérèse, en face du cinéma dans une villa spacieuse au milieu d’un espace paysager bien entretenu agrémenté de beaux arbres. Alors que je passais devant la grille, je l’avais complimentée à propos de la beauté de ses parterres. Debout devant le Leader, nous parlons littérature. Je lui demande de ses nouvelles . « Je m’ennuie. Heureusement, vous me donnez des livres ; vous me sauvez la vie ! ». Lire est sa seule distraction. Elle a perdu son mari après une cinquantaine d’années de vie commune, sans enfant. Elle sait tout des deux guerres et ne rate aucun document télévisé. Son père a fait la « Grande Guerre » pendant quatre ans. Il était à l’intendance et distribuait le courrier. Quelque chose me laisse perplexe . Née en 1927, adolescente dans les années quarante, et habitant Paris, sur la rive gauche, elle dit ne rien savoir des arrestations de juifs !…En 1940, Pétain était l’Homme providentiel pour gouverner la France. Odette n’aime pas les socialistes. Elle déplore qu’à l’époque de Madame Lecuir, Socialiste à la Mairie, elle était mal accueillie au cinéma… Employée dans un bureau de juristes dès ses treize ans, elle n’avait pas de quoi se payer une place de cinéma. Maintenant, nous avons un Maire UMP, c’est bien différent, on lui offre des entrées gratuites, mais elle ne va plus au cinéma car elle entend mal.
Une femme d’une quarantaine d’années pousse son chariot vers sa voiture. Elle porte « un jean » qui moule ses formes. Odette commente :
- s’habiller comme cela à son âge !
Un jugement qui m’étonne de la part d’une personne que je considérais comme large d’esprit.
Tandis que j’attends le « Baladin » la navette qui assure les déplacements des personnes à mobilité réduite, une femme s’approche de moi. Elle aussi attend le Baladin. Je fais une remarque à propos d’un homme qui se dirige vers sa voiture en poussant son chariot sur lequel sont juchées deux petites filles. Il porte une casquette style marin, à fond plat.
- Cet homme là qui vient de passer avec ses courses a beaucoup de mal à tenir ses enfants. L‘aînée pousse des hurlements dans le magasin. C’est un juif religieux, le tallit* dépasse de sa veste.
La dame enchaîne sans transition:
- J’ai été mariée plus de trente ans à un sefarade**. Puis nous avons divorcé. Ensemble nous avons fait de beaux voyages en Israël. Nous allions partout. En 1967, à Jérusalem qui était divisée à cette époque, à Eilatt, à la Mer morte, Massada, le Mur des Lamentations…Nous y sommes retournés aussi en 1992 et 1998. Sa famille m’avait adoptée.
- Et puis, vous avez divorcé.
- - Oui, nous avions une belle maison à Antibes. Ma meilleure amie, une Madame Cohen convoitait mon mari. Il m’a fixé un ultimatum : ou je me convertis au judaïsme ou c’est le divorce. Après toutes ces années de vie commune pendant lesquelles je participais à toutes les fêtes juives…Nous avons un fils. Il est déficient mental. Il passe la semaine en Institution et rentre à la maison pour le week-end. Son père s’en soucie peu.
- Qu’est-ce qu’est devenu votre ex- mari ?
- Il souffre d’une dépression chronique.
- Ah ! voilà le « baladin ».
Béatrice attend son tour à la caisse. Sa seule sortie, c’est le vendredi à l'occason des courses. Elle refuse de confier son mari à une Institution médicalisée ; trop chère en rapport avec la qualité des soins, selon elle. Au Leader, ses achats sont fonction des besoins de son mari. Elle stationne longuerment devant les rayons avant de faire un choix, telles barquettes sont trop haut, telles haut trop bas; dénonce les dépassements de dates, fait des remarques à propos de l’hygiène. Elle incarne le souci que nous devons avoir d’autrui.
Andrée a une très mauvaise vue et se déplace avec difficulté. Pour repérer les rayons et lire les étiquettes, elle sollicite les gens, clients et employés. Tous s’empressent pour lui faciliter les choses. Elle a de l’humour; Un sourire lui redonne un air de jeunesse et de charme. Quand on lui demande pourquoi elle ne fait pas appel à des aides-ménagères, elle rétorque qu’elle ne veut pas d’étrangères chez elle car « on la vole : ses bijoux et sa lingerie !… ». Elle a eu des enfants avec un Africain dont elle a divorcé et qu’elle méprise, jusqu’à ignorer ce qu’il est devenu. Selon la rumeur, « elle a des moyens », et pourtant elle ne porte que de vieilles frusques et ses mollets sont couverts de plaies. Pas comme Catherine qui s’habille avec goût bien que son corps soit déformé suite à un rhumatisme mal soigné. Il y a peu de choses qu’elle puisse faire elle-même. Elle a obtenu de la Mairie un logement restauré à neuf et adapté à son infirmité; elle est ravie des intervenants que lui envoient les Services municipaux « Ils sont tous gentils et efficaces qu’elle que soit leur origine et leur couleur ».
Danielle, un peu plus jeune que nous a subit un grave accident dans sa jeunesse. Elle est restée boiteuse, ce qui ne nuit pas à son élégance très chic. Elle a fait une carrière dans le tourisme ce qui lui a donné l’occasion de beaucoup voyager. Elle se rend régulièrement à Dakar où elle a de bons amis.
Arrive une personne que je vois de temps en temps. Nous avons toujours des choses à nous dire. Tout est positif dans sa vie. Elle fait des projets avec son fils ; c’est un secret. Elle a aussi un autre secret ; elle a foi dans le pouvoir protecteur des anges.
La Kabbale en dénombre soixante douze qui correspondent aux soixante-douze lettres hébraïques de chaque verset 19, 20, 21 du chapitre XIV de l’Exode ***. Pour les mystique , Le nom des anges sont des des supports de méditation.
Je me suis sentie attirée par le nombre 13 - Verset 19 : 13ème lettre Yod - verset 20 : 13ème lettre : zaïn - verset 21 : 13ème lettre :Lamed (en rouge)
ce qui m’attribue l’ange YEZAL, en hébreux « YOD, ZAIN, LAMED ;- 13 -
YEZALEL- 13 -
YEZALEL
La méditation sur les lettres hébraïques accom-pagnée d’une respiration contrôlée a des effets favorables sur les fonctions physiques, la sensibilité émotionnelle, l'entré dans un univers spirituel. Nous sommes aux portes de la magie.
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*tallit : "tsitsit" en hébreux - Châle rectangulaire à franges porté par les juifs religieux (selon les commandements figurant dans le livre des Nombres - chapitre 15, verset 38.
** Sefaradim : Descendants des juifs qui vécurent en Espagne et au Portugal avant l'expulsion de 1492
*** traduction Exodus 14:19 L'ange de Dieu, qui allait devant le camp d'Israël, partit et alla derrière eux; et la colonne de nuée qui les précédait, partit et se tint derrière eux.
LSG Exodus 14:20 Elle se plaça entre le camp des Égyptiens et le camp d'Israël. Cette nuée était ténébreuse d'un côté, et de l'autre elle éclairait la nuit. Et les deux camps n'approchèrent point l'un de l'autre pendant toute la nuit.
LSG Exodus 14:21 Moïse étendit sa main sur la mer. Et l'Éternel refoula la mer par un vent d'orient, qui souffla avec impétuosité toute la nuit; il mit la mer à sec, et les eaux se fendirent.