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histoires d'hier et d'aujourd'hui
20 septembre 2014

Un toit à l'abri des tempêtes (1)

Un train, une Gare : Le Faouët – trois minutes d’arrêt. Une famille descend, avance avec hésitation jusqu’à la place. Femme et enfants restent groupés sous le platane assis sur leurs baluchons. La nuit tombe. Ils attendent le retour du père qui parlemente avec les gendarmes sur un hébergement possible. La boulangère offre une soupe paysanne, prémisses d’une bonne entente avec la population du terroir.   

  Avec l’accord du curé, la famille est hébergée provisoirement dans le préau du Patronage. Après quelques semaines, les gendarmes de Faouët, sur ordre du Maire,  conduisent jusqu’à Cosquéric les adultes et la marmaille. Quelques maisons basses  autour d’un terrain vague, sorte de cour commune dans laquelle on déverse le fumier où viennent s’alimenter cochons et volailles. Un logement mitoyen à celui de la veuve Rousseau est vide : le propriétaire est parti en Amérique et ne donne plus de nouvelles.

 L’été la porte de la masure est toujours ouverte pour laisser le soleil réchauffer l’intérieur. Une oie entre dans la pièce et mord le cul nu du petit frère.

 Un après-midi,  profitant que le petit dernier fait la sieste, la mère et les grands partent aux champignons. A  peine se sont-ils éloignés de la maison, qu’ils entendent le gamin courir derrière eux en hurlant : ses boucles blondes volent  de tous côtés.

 

La famille réunie le soir autour de la cheminée guette le retour du père, ouvrier à la Kriegsmarine(2) de Lorient, où la guerre fait rage. Le dernier-né qui n’a que deux ans,  considéré comme porte-chance est consulté pour savoir si le retour du père est imminent. A plusieurs reprises la porte s’ouvre dès que l’enfant dit : maintenant !

 

Un 25 décembre au soir, les enfants sont couchés pêle-mêle sur les paillasses, faisant semblant de dormir. Ils louchent vers la grande cheminée devant laquelle ils ont  laissé leurs sabots : la sœur aînée y met une orange, avec l’idée qu’ils vont croire à un cadeau du Père Noël.

 

La mère qui pourtant est une grande craintive fait le voyage entre Cosquéric et Blanc-Mesnil avec l’intention de ramener quelques effets oubliés dans la précipitation du départ. Elle traverse Lorient occupé, tenant Marie par la main. La petite fille est fière de son manteau gris perle et, tout en balançant mon petit seau, elle échange des sourires avec les soldats allemands qui défilent en colonne.

 

Marie est de toutes les équipées avec les jeunes du pays : bals clandestins dans les maisons en ruine, projections de films interdits dans les granges, escapades dans la lande avec les galopins du village voisin, travaux des champs lors de moissons collectives.

 

Elle est gavée de liberté, à ne plus savoir qu’en faire

Elle règne sur les espaces sans borne ni palissade qu’elle a conquis

Reine des herbes dans la lande, plus hautes qu’elle

Des aurores et des crépuscules qu’elle possède sans partage

 

Elle aime cette terre de chaos et de solitude,

Où plane l’esprit de Dieu. Elle en respire la saveur.

Les ténèbres ne lui font  pas peur.

Elle vit le doux syncrétisme des premiers matins

Que rien ne vient élucider.

 

Elle n’est ni adulte ni enfant

Juste un feu follet courant dans le vent

En marge des cimetières.

Un éclat de rire, une lueur dans les yeux.

Elle gambille parmi des êtres charnels

Intouchable, désincarnée, que nul n’ose blesser.

    

Le 1er octobre 1943, la mère traîne Marie sur la route  menant à l’Ecole Saint-Jean, éloignée de trois kilomètres. Le chemin est un calvaire car l’enfant pleure et proteste qu’elle ne veut pas y aller. Elle intègre le Cours préparatoire avec une heure de retard, le visage barbouillé de larmes.

 

Le matin, lorsque les enfants franchissent la porte de la classe, Monsieur Malardé, Directeur et instituteur,  se tient sur le seuil avec une règle en bois. Il tape sur les doigts quand les mains sont sales. L’eau qu’on doit tirer du puits à bout de bras est précieuse à Cosquéric, les jours de toilettes sont les jours de fête.

 Hélène, l’aînée, raconte qu’elle fait tous ses devoirs sur le retour de la classe, le long de la voie ferrée, car dit-elle, le père déteste la voir penchée sur ses cahiers. Elle passe brillamment son certificat d’étude primaire et en veut à son père de ne pas l’avoir laissée faire d’études complémentaires.

 Les voisins sont surpris de l’ardeur déployée par le frère aîné pour aider aux champs, il a huit ans. Il est de toutes les corvées :   détruire les doryphores, déterrer les pommes de terre, retourner les foins, charger le fumier sur la charrette,  participer aux moissons.

 La mère passe son temps à faire des nouilles. Les petits, groupés autour de la table, sont fascinés par la vitesse avec laquelle le couteau tranche le rouleau de pâte en fines lamelles.

 Les miches de pain sont énormes et la mère ne découpe pas d’aussi belles tartines que la fille d’en face qui traverse la cour avec une magnifique tranche, taillée fine et plate, d’une étonnante longueur.

 Il est arrivé que le père reste cloué au lit avec une crise de rhumatismes. La masure est humide car le mur est enterré derrière la maison. Une religieuse en cornette vient lui faire une piqûre. Elle arrive dans le hameau et repart nul ne sait par quel moyen de transport? La route est à trois kms. 

 Un soldat allemand en vadrouille s’est égaré dans la lande. Il passe devant la maison. La mère qui se tient sur le pas de la porte le voit s'approcher. Ils échangent quelques paroles en allemand tandis que les enfants épouvantés courent se cacher derrière la maison.

 Les paysans se réunissent tour à tour dans chacune des maisons pour la veillée. Le feu dans la cheminée sert d’éclairage. Des ombres géantes se meuvent sur les murs. Les enfants se font des peurs dans la demi-obscurité tandis que les adultes échangent à voix basse les dernières rumeurs de la guerre.

 Lors du bombardement de Lorient par les alliés, le ciel est clair comme en plein jour. Les gens de Cosquéric sont tous dehors,  la  tête levée vers le ciel illuminé. Des clameurs fusent à chaque explosion, comme lors d’un feu d’artifice.

 Les tanks américains libèrent la région. Toute la population se poste sur la route pour les regarder passer. Le père tranversant Lorient sous les bombardemets en route pour Cosquéric est bloqué par un groupe de Résistants qui en veulent à sa vie. Il est sauvé grâce à l'intervention d'un villageois "Je le connais, il est père de cinq enfants, laissez le aller".

 Les années ont passé. Plusieurs décennies, en vérité.

La petite fille garde au fond d’elle-même, une légende

Qui palpite, belle et vivante, entourée de mystère :

Le soleil jouant dans les ajoncs, les amoureuses des bals de Saint-Jean,

Les ombres géantes tournoyant sur les murs, les soirs de sabbat.

Le chaudron noir qui se balance au bout de la crémaillère.

Dans l’âtre suintant, un feu qui jamais ne s’éteint.

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 (1) texte déjà posté sur le blog le 16/08/2010 sous Le titre "La vraie vie"

 (2)  Base navale allemande faisant partie du Mur de l’Atlantique

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