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histoires d'hier et d'aujourd'hui
9 mars 2019

zone de turbulences

J'étais assez proche de mon fils du moins je le croyais, sauf que tout un volet de son récent vécu en connection avec son père m'avait échappé pour la raison que mon fils n'avait rien laissé paraître de l'émotion filiale récemment reliée à son géniteur. Quant à moi, J'étais encore dans le ressentiment envers l'homme qui avait été mon mari jusqu'en 1972, année de notre divorce. Il avait déserté alors que mon fils avait sept ans. Malgré tout, j'étais habitée de l'intime satisfaction d'être restée aux côtés de mon enfant en toutes circonstances et tout au long de son parcours amorcé dès l'adolescence et jalonné de péripéties qui firent de lui un père de cinq enfants et un mari de deux épouses successives. Le décès de G.allait perturber durablement nos bonnes relations.  

 Le 20 janvier, un dimanche, pareil à d'autres dimanches, mon fils E. sonne à ma porte vers 16h, au retour d'une virée avec ses copains cyclistes dans les forêts domontoises. Il s'est attardé avec ses amis, ce qui n'explique pas son comportement rageur et hostile dès son entrée dans la maison, à moins que le motif soit ma décision de me rendre aux funérailles de G. Au comble de l'exaspération, il m'interdit de lui adresser la parole pendant tout le trajet en voiture jusqu'à son appartement en proche banlieue.

 Le soir, après dîner, je fais la conversation et raconte que mes parents ont été inhumés dans le carré juif de Bagneux, faisant sous-entendre qu'étant juifs c'était ce qu'il y avait lieu de faire. Les réactions  irrationnelles et méchamment ironiques de mon fils m'induisent à penser qu'il se cache quelque chose derrière cette violence.  Je me sens mystifiée, avec l'impression troublante d'un air de déjà vu, une scène remontant d'un lointain passé. 

 Le départ pour Cancale où se déroulera les funérailles de G. est prévu pour le lendemain. Lundi, nous arrivons à Cancale en début de soirée. La veuve reçoit les visiteurs qui déferlent dans la grande maison fraichement restaurée et luxueusement meublée. La familiarité des relations entre mon fils et la patronne me rend perplexe. Ils chuchotent en aparté. Lui, prend spontanément les choses en main et prépare le repas du soir comme s'il était chez lui.

 Dans la journée du mardi, jour des obsèques, interrogeant mon fils pourquoi il ne m'adresse pas la parole, il explose en invectives, me décrivant comme une personne dénuée de respect et d'empathie, incapable de comprendre qu'il est en train de vivre une journée de recueillement. Non! certes, je ne peux pas le comprendre...

 Je me rends à l'hôpital de Saint-Malo pour la levée du corps. La cérémonie funèbre au cimetière de Cancale est longue et sophistiquée. Dans l'air glacé d'un mois de janvier, S. et A. mes deux petites filles adultes sont mises à contribution. Elles lisent des messages qu'elles peinent d'ailleurs à rendre audibles à travers leurs sanglots. Le gros des assistants se tient à distance. Le message de S. fait référence à Rivesalt* où G. aurait été interné pendant la Shoah. Le message lu par A. est le témoignage d'un ami de G. interné à Rivesalt, lui aussi, alors qu'il avait quatre ans.  Puis vient le tour de E., mon fils. Il a préparé un texte sur sa tablette. A travers ses pleurs, quelques paroles me parviennent. "Tu as oui déserté ton foyer.... nous avons des traits communs.... papa je t'aime...". Une cousine de G. vivant en Californie affirme :  "tout ce qui a été dit pendant les funérailles est vrai !"

 Le Maître de cérémonie annonce un intermède musical, le temps aux endeuillés de se recueillir. Un rythme sonore d'un style inclassable sort d'un appareil posé sur le sol. Enfin, un ultime hommage envers le défunt : chacun à son tour effleure le cercueil en bois d'ébène d'un geste bien senti. Un dernier adieu.

On s'éparpille. Cependant, un murmure s'élève autour du cercueil : il conviendrait de lire le Kaddish**. Un juif parmi les assistants est désigné. Il se coiffe d'une kippa*** et débite sans solennité  un verset à partir d'un feuillet tiré de sa poche.  Le cercueil est descendu dans la fosse dans un silence recueilli, sans émotion visible.  

Un somptueux repas nous attend qui va nous réconforter car nous avons été stoïque pendant cette épreuve, dans le froid hivernal. La patronne aidée de ses proches fait bien les choses. La villa de Cancale est clairement le symbole d'une réussite. Victime de la barbarie nazie dès l'enfance , G. est un résilient****, mon fils l'héritier. Un monde nouveau s'ouvre à lui :  un père, une mère, de nouveaux amis. 

L'inouï, l'indicible me submergent.  L'humiliation subit d'un homme mystificateur à l'époque de notre mariage  se rejoue à l'identique par le fils, 47 ans plus tard. Injustement maltraitée, ostracisée,  je ne pourrais y survivre indemne. Je m'effondre.  Je dois rechercher de l'aide. 

face cachee

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* Rivesalt 1942.: Camp d'internement des Juifs arrêtés dans la zone libre

**André Neher '1914 -1988) Le Kaddish (קדש- saint,sacré ) Le plus connu est "le kaddish des endeuillés" récité lors des funérailles, en fait une prière pour Dieu destiné à glorifier le nom divin et sanctifier son jugement.

 *** Kippa ( כיפה terme hébraïque désignant la calotte portée traditionnellement par les Juifs pratiquants

****résilience :  capacité à réussir, en dépit de l’adversité. Concept développé par Boris Cyrulnik (né le 26 juillet 1937 neuro-psychiatre);  Le texte que j'ai édité sur ce blog le 30.10.2012 sur le thème de la Résilience rend compte d'études et de controverses  suscitées par le concept

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Commentaires
M
Je souhaite que tu supprimes les mots que je t'ai écrit de ton blog qui est public
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