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histoires d'hier et d'aujourd'hui
1 mai 2010

LES COQUELICOTS

champ_de_coquelicots

Les coquelicots

 

Dans notre enfance, nous chantions à pleine voix « Gentil coquelicot Mesdames«.  Je rêvais d’un jardin où je descendrais le matin cueillir du romarin…luxe impensable chez nous où le terrain devant la maison servait de dépotoir à mon père pour entreposer les métaux de récupération dont il faisait commerce. Je n’y ai jamais vu de coquelicot.

 

Sur le quai d’une station aérienne du RER à Genevilliers, quelques coquelicots s’étaient faufilés entre les interstices des pavés et fleurissaient allègrement, coincés contre la rambarde. C’était une belle matinée de juin et j’allais travailler comme « interim »dans les bureaux en zone industrielle. J’ai pris plaisir à cueillir quelques brins pour les garder dans un verre d’eau le temps d’une journée. Pendant le travail de frappe sur ordinateur, je jetais de temps en temps un coup de d’œil sur le bouton vert tendre qui s’ouvrait lentement jusqu’à laisser se déplier en corolle la robe pourpre toute froissée, sortie de son fourreau.   

 

Perdue dans un village du Perche, il y avait cette chaumière où le hasard d’une rencontre amoureuse m’avait conduite. Derrière la maison s’étendait un immense champ de blé piqué des trois couleurs bleu/bleuets, blanc/marguerites et rouge/coquelicots. Telle une bacchante en pleine  orgie dionysiaque, dans une relation privilégiée avec la nature, je batifolais dans les herbages. Me jeter corps et âme dans cette mer végétale m’enivrait davantage que les plaisirs de l’amour. « Rien n’est plus différent de l’amour que l’idée que nous nous en faisons », dit le Sage, mais la nature, elle, ne trahit jamais.

 

Durant les tristes années d’après-guerre,  la culture nous était inaccessible.  Heureusement, nous avions nos poètes et chanteurs populaires : Prévert, Ferré,  Queneau, Brel et Ferrat.  Mouloudji était de ceux-là,  qui chantait.

 

« Les myosotis et puis la rose

 

ce sont des fleurs qui disent que’que chose

 

mais pour aimer les coquelicots

 

et n’aimer qu’ça faut être idiot. »

 

 

Plus tard, Michèle Bernard, poétesse découverte sur Internet, reprend le flambeau du coquelicot associé au sang versé.

 

« Trois gouttes de sang pour un drame

 

Amour jalousie

 

Gentil coquelicot Mesdames

 

Faut payer le prix »

 

 

Strophes distantes d’une génération,  de celles de Rimbaud, qui « d’une aile à l’autre se répondent ». En amont, devancée d’une précédente génération,  « le dormeur du val », autre blessure. Fait divers, fait de guerre.

 

Avec Michèle Bernard, cependant,  la vie reprend ses droits.

 

Moi j’aime par-dessus tout

 

Ce drapeau de rien du tout

 

Qui s’dresse tout seul dans les blés

 

Sans que l’clairon l’ait sonné.

 

 

Coquelicot rime avec cocorico, emblème franchouillard, juché sur les  monuments au mort autour desquels se réunissent les 8 mai et le 11 novembre les anciens combattants pour égrener le nom de leurs camarades tombés au champ d’honneur. Le Coq gaulois après avoir figuré sur les sceaux des Monarques et sur les timbres des Républiques, après avoir été gravé sur les casques militaires, les médailles, les boutons des uniformes et sur les pièces d’or, fut supplanté par une femme à bonnet phrygien, mais continue à se dresser fièrement au sommet des clochers.   

 

Les horticulteurs les considèrent comme mauvaises herbes. Le sarclage est préconisé pour en venir à bout, ou encore l’épandage d’un produit toxique avant la formation des graines, tant il est vrai que le coquelicot n’émeut que les artistes et les poètes.

 

Marcel Proust révèle des affinités entre le concret et l’abstrait, le dedans et le dehors. Un seul coquelicot « se hissant au bout de son cordage et faisant cingler au vent sa flamme rouge » fait battre son cœur, tant son sens symbolique est riche en résonnances.

 

Le promeneur ne voit qu’un décor dans la  profusion végétale qui, dans les riches terres de notre « douce France » chantée par Charles Trenet, explose dans les beaux mois d’été. Baudelaire, lui,  voit dans la nature  « un temple… où les parfums, les couleurs et les sons se répondent ».  Le coquelicot est la porte du labyrinthe des correspondances subtiles. La sémantique hébraïque est un des fils conducteurs pour l’explorer comme dans les trois lettres, « aleph, daleth, mem » des mots rouge, sang, et homme (rouge « adom »,sang  «  dam »,  homme « adam »). .

 

 

Le coquelicot, contrairement à la rose dont les couleurs sont variées, n’a qu’une vocation, celle du rouge. La vitalité du coquelicot bravant l’aridité des terrains vagues est celle de Mars, la planète rouge, en domicile dans le signe du bélier,  donnant au natif du mois de mars combativité et impulsivité. La planète Mars est en analogie avec Geburah* (sur Arbre de Vie) Sephira* rouge dont l’action stimule la vitalité et la combativité. C’est la Sephira de la chevalerie.  Le rouge sied au fanion de la jeunesse turbulente et rebelle, des bâtisseurs de lendemains qui chantent, des redresseurs de tord et d’injustice.

 

Le sang versé dans le calice devient le Graal dont la quête, si elle n’est pas mise au service de buts nobles et exempts d’intérêts égoïstes, génère des destructions que l’humanité paie très cher.

 

 

 

 

* les termes Geburah et Sephira font partie d’une illustration kabbalistique de l’Univers dont nous aurons l’occasion de parler plus tard.

 

 

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Commentaires
F
Un vrai régal ces lignes sur le coquelicot...Bonne jojurnée
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