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histoires d'hier et d'aujourd'hui
6 avril 2022

Une promesse de bonheur


Szajndla

Szajndla est la plus jeune des quatre filles Steinbaum. Elle est née, le 10 août 1903 à
Kolo (Ouest de Varsovie). Sa soeur Malta, l'aînée, et son mari Simcha Erder tiennent un
magasin à Berrenrath, non loin de Cologne.Soucieux de l'avenir de Szajndla, Malta fait
venir sa soeur chez elle, en Allemagne,  avec l'intention de la marier. La jeune fille est
indisciplinée , elle ne se plie pas aux codes germaniques et perturbe la bonne
ordonnance du quotidien familial, ce dont se plaint Santa, fille de Malta.Szajndla refuse
plusieurs prétendants. Un courrier venant de Varsovie laisse pressentir une demande en
mariage. Il s'agit de Szyja Furcajg. Pour Szajndla, ce jeune homme n'est pas un inconnu.
C'est lui qu'elle  attendait .

Un portrait comme une promesse de bonheur
                                      
Chez le photographe.                   
 L’homme derrière la femme, presque tête contre tête, légèrement
penché, attitude protectrice. De sa main droite, il enserre le bras  de sa compagne, au
niveau du coude.  La jeune mariée porte une robe blanche, travaillée dans un tissu
fluide, montée taille basse, style « charleston ». La jupe tombe en plis souples sur les
genoux.  Le bord est festonné et brodé jusqu’au milieu de sa longueur , sur tout le
pourtour. Le corsage, sans manche et sans col, flotte autour du torse pour retomber
mollement sur la jupe.  Seul bijou, un collier à deux rangs.  Les cheveux courts ondulent autour du visage. La main gauche disparaît sous un bouquet de fleurs blanches. Un portrait, comme une promesse de bonheur.


Installation à Paris.

Arrivé à Paris en 1929, le couple se marie à la Mairie du 20ème l'année suivante Une
fille est née entre-temps le 12 octobre 1930. La petite famille s'installe 8, Impasse des
Couronnes. En 1939, mon père construit une maison sur un terrain, situé Rue des
Champs à Blanc-Mesnil, proche de l'aéroport du Bourget, cible de l'aviation ennemie.
Nous aménageons alors qu'il n'y a pas encore de vitres aux fenêtres. . Nos voisins sont
des polonais antisémites qui nous sont hostiles. Par chance, l'école du quartier nous
accueille avec bienveillance..

 L'AFFICHE

 C'était en 2013. L'affiche nous avait été distribuée à la sortie d'une  représentation
donnée par la 'Compagnie des deux chaises'  dans une salle de la banlieue parisienne. Les quatre femmes représentées pourraient aussi bien être maman et ses trois filles.  Dans le drame de Michel Tremblay, "la promesse de bonheur tourne en  une alliance destructive ; mari et femme se déchirent et se jettent leurs échecs à la face, ce dont se souviennent les deux sœurs pour avoir tout entendu de leur mémorable dispute."(1)

Mariée à un homme par amour, maman  n'était pas préparée à vivre une alliance de
dépendance, ne lui laissant aucun droit, ficelée corps et âme à un homme insoucieux de satisfaire ses besoins les plus essentiels. Mon  père ne ressemble en rien au mari créé par Michel Tremblay.  Il était sobre et courageux, mon père; il allait de l'avant sans jamais
faillir et ne demandait rien d'autre que de vivre en paix. Il  ne répliquait pas aux
imprécations de ma mère, terribles en Yiddish,  qu'il ne  prenait pas au sérieux.

(1) le texte en itallique est de Michel Tremblay   
,
Autour de maman    

L’heure est à la gaieté. Ma mère est là, les enfants autour. J’enfile une paire de bas que
je viens d’acheter avec mon premier salaire en même temps que des souliers vernis; Je
tends la jambe vers maman pour lui en faire admirer  le bel effet. Nous rions ensemble
de plaisir. Je suis heureuse de la voir rire, elle que je vois si souvent pleurer

Ma mère confectionnait des nouilles.Groupés autour d'elle nous étions émerveillés de
voir la vitesse avec laquelle le couteau tranchait le rouleau de pâte en fines lamelles.

Maman chantait souvent. Les chansons de maman font partie de la culture juive. Elles
racontent les séparations; les retrouvailles, l'amour, les berceuses.  Nous connaissons
tout le répertoire de maman et nous écoutons les enregistrements avec nostalgie..

Le conte de Dickens  "le grillon du foyer" est arrivé aux oreilles de maman.Elle s'est
avisée de nous envoyer chercher du pain sans argent comme le petite garçon du conte.
Nous avons refué d'obtempérer. Un conte reste un conte qui ne peut convaincre une
boulangère.

Un pneu de bicyclette roulant sur un caillou a  éclaté avec un bruit sec, juste devant la
maison. Maman a jeté un cri d'épouvante "Wi schiesst Herein!" (2) L'incident fit l'objet
de plaisanteries qui égayèrent la famille pendant des années.

(2) "on nous tire dessus"

"Maman, tu nous as préservés du danger.

Maman, les étoiles jaunes, tu ne te soucies pas de les coudre sur nos vêtements,
simplement parce que d'une façon générale tu ne te conformes pas aux décrets. Tu
savais que nous allions grandir dans cette  Société  qui s'est montrée criminelle dans un
passé récent.En prévision, tu nous a donné des prénoms bien français figurant sur le
calendrier: Hélène, Marcel, Marie, Juliette, André..

A l'annonce des arrestations du 13 août 1942, tu t'es  opposée à papa qui se préparait à
partir sans nous avec l'idée que seuls les hommes étaient menacés. Tu avais déjà vécu
l'absence de papa engagé volontaire en 1940, absence pendant laquelle tu avais
accouché du petit dernier. Tu as imposé ta volonté et nous avons quitté la maison tous
ensemble à la merci du hasard. Le lendemain de notre fuite, la police fraznçaise
débarquait pour rafler la famille. Nous étions déjà entassés dans un train en route pour la
Bretagne.

Toi si craintive, tu es restée sur le pas de la porte alors qu'un soldat ennemi  traversait le
hameau.Non! tu ne t'es pas cachée; vous avez échangé quelques mots en allemand.,
alors que les enfants s'étaient enfuis terrorrisés. Ton charme a opéré, rien ne s'est produit
de facheux.

Ma mère, ma douleur

Lorsque maman m'appelait de ces doux diminutifs "Marele', Madichi", son visage
prenait une expression heureuse qui m'étreint le coeur aujourd'hui tant j'ai le regret de ne
pas l'avoir mieux aimée.

En 1954, nous sommes allées toutes les deux jusqu'au cinéma de la place Vendôme où
le film  "La Strada" venait de sortir . Dès l'apparition de  Gelsomina, je fus submergée
d'émotion tant sa misère et sa solitude étaient pareil au destin de ma mère.

Ma mère  cuisinait comme avait cuisiné sa mère et ses soeurs. Il lui arrivait de préparer
des  « Tzimmes", un plat traditionnel composé de carottes sucrées avec raisins secs et
cannelle.Nous refusions de manger ce plat si étranger aux habitudes françaises. Un jour
pas différent des autres, alors que je me disposais à cuisiner des carottes, je fus saisie  
d'une douleur fulgurante. La pensée me vint qu'en repoussant mon assiette, moi,  sa
petite fille,  je la rejetais, elle et son amour. Ce faisant,  j'aggravais cruellement son
incapacité à  exister dans ce monde.  

Maman, à toi pour toujours

Maman alitée à l'Hôpital de Montmorency  paraissait sans vie.Elle était aveugle depuis
bien des années. En présence de ma soeur aînée, et pour un court instant,  ses joues
reprirent vie, ses lèvres esquissèrent un mystérieux sourire et s'animèrent dans un
balbutiement inaudible.  Le message muet de ma mère, je le compris comme  
l'émergeance spontanée d'une époque lointaine, d'où jaillit le souvenir d'une  complicité
secrète dans l'adversité, alors que sa fille aînée n'était qu'une enfant.. Ce fut la dernière
expression de vie  de maman.
.  
Mamman  s'est éteinte le 23 septembre 1972., selon le faire-part. La veille du 23, j'étais
à son chevet. J'ai alerté l'infirmière de garde ""Mais elle est morte!". Ai-je dit La soirée
était avancée; il était trop tard pour constater un décès.

L"oeuvre théatrale de Michel Tremblay m'a transpercée de part en part.  Le serment "A
toi pour toujours maman, ta Marele".  a façonné ma vie.J'ai été amenée à prendre la
mesure de ce que ma mère avait mis en moi, à  l'aimer toute entière et exclusivement. .





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