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histoires d'hier et d'aujourd'hui
7 mai 2010

Un dimanche matin sur les berges

Dimanche matin, sur les berges

On est en décembre et dans l'atmosphère mélancolique de ce dimanche matin, la Seine, étale ses flancs généreux entre les berges, sans apaiser mon esprit tourmenté. Au contraire, la morne descente de ces eaux tranquilles s'acheminant vers la mer, le décor plat et conventionnel de carte postal qu'offre aujourd'hui les bords du fleuve,  réveillent en moi de vagues regrets.  Les rares promeneurs à cette heure matinale se sont mis en route pour une randonnée à rebours du temps et je les imagine sortis de leurs appartements douillets, satisfaits d'eux-mêmes et du monde entier.  Ils se partagent avec une délectation sans mélange les dernières nouvelles. Ils se les racontent les uns aux autres, faisant ressortir le côté comique pour susciter des éclats de rire qui agissent sur eux comme des boissons chaudes. J'entends leurs exclamations bien après les avoir croisés. Leur cœur et le cœur de la ville battent à l'unisson :  ce qui arrive à leur ville, leur arrive à eux. Le bonheur d'y vivre auréole d'une sainte gloriole les petits événements de voisinage dont l'importance prend des allures cosmiques. Ce sont de ces êtres qui n'ont jamais rêvé de grandes aventures, mais cultivent la  joie des miraculés, de ceux qui se nourrissent  de l'idée d'avoir échappé à de grands malheurs. Arrivés sain et sauf et le devoir accompli au crépuscule de leur vie, ils vivent cette sécurité que donne l'endormissement des désirs qui opère comme des pilules de tranquillisants. Il se sont consciencieusement emmitouflés d'écharpes et de bonnets pour se protéger de l'humidité des berges et de la même manière, ils ont calfeutré leur âme contre les variations des sentiments pour n'éprouver qu'un contentement sans faille. Je les croise sans un regard et respire l'odeur de confort moral qui se dégage de leurs vêtements.

Rien de tel pour moi ni ce matin, ni dans mes plus lointains souvenirs. Autrefois, les romances que j'entendais à la radio, chantait un Paris plein de promesses.

A Paris, quand un  amour fleurit,

Ca fait pendant des semaines

Deux cœurs qui se souviennent

Et tout ça parce qu'ils s'aiment,  à Paris….

Je fredonnais cette rengaine, comme pour y croire,  lorsque, le dimanche après-midi, je prenais l'autobus sur la route de Flandre, puis le métro à la Porte de la Villette jusqu'à la station Châtelet. Là que je débouchais sur un monde qui m'émerveillait comme la poupée qui ne sera jamais mienne, exposée à l'étalage du marchand de jouets fascinait la petite fille que j’étais. Paris s'offrait à mes regards. Je traversais le pont et, penchée sur le garde-corps, je regardais les flots frémir sous mes pieds, j'attendais les péniches pour les voir passer sous les arches, puis débarquée sur le Boulevard Saint-Michel, je me mêlais au flot des gens qui descendaient le Boulevard,  pour remonter et redescendre encore. C'était le plaisir de respirer l'air du quartier. "I love Paris, oui je t'aime" était sur mes lèvres mais Paris restait de glace. Sans doute, je ne lui plaisais pas. Je n'étais pas comme ces filles, du type branché, déambulant en bandes et parlant fort. Malgré mes efforts pour paraître à la page, je gardais l'empreinte de cette indigence qui vous colle à la peau lorsque vous avez vécu dans un foyer déraciné,  dépourvu de bagages culturels.

Comme Ruth[1] allant glaner des épis dans le champ de celui aux yeux duquel elle trouvera grâce, j'allais moi aussi glaner dans le champs de la vraie vie espérant dans la providence qui me ferait rencontrer celui aux yeux duquel je trouverai grâce. Dès que je mettais le pied sur la rive de cet univers de lumière, de fête permanente où se nouaient les amours faciles, de tourbillon d'êtres faits pour la jouissance, le mot Volupté, que chérissait tant Baudelaire, allumait comme un brûlot dans ma tête et dans mon corps, qui enflammait mes sens, suscitant dans mes nerfs une fébrile impatience de se consumer sans trop tarder

Oui, j'ai pu cueillir quelques miettes d'humanité au hasard de l'itinéraire, que je vivais comme un parcours initiatique, allant de Saint-Michel jusqu'à Montparnasse-Bienvenue, en passant par Saint-Germains-des-Prés. J'attrapais au vol une lueur de tendresse dans les yeux d'un l'enfant, un brin d'humour dans les gestes d'un vagabond qui s'improvisait amuseur, l'attention amoureuse d'un marchand de légume disposant ses cœurs de fenouils sur son étal, la mansuétude de ce sage croisé dans le métro, qui s'avançait pieds nus avec des hésitations comme déjà au seuil d'un autre monde.

Pas de rose, pas un brin d'herbe, même pas un arbre,  sur les quais aujourd'hui. Des bords remblayés, des petits pavés, parfaitement enchâssés.

Rentrée de l’étranger après un séjour dans un pays chaud, gavée de soleil et de ciel bleu, je reviens goûter le clair-obscur d'une matinée de décembre au cœur de Paris, le Paris carte postale aux belles pierres bien polies épousant parfaitement les courbures du fleuve, aux gracieux arrondis des arches élégamment sculptés, aux bâtisses rajeunies bravant les siècles, un Paris qui est comme un livre fermé, ne révélant rien de son histoire, ne se prêtant pas au rêve, une belle vitrine pour la touriste que je suis devenue.


[1] Livre de Ruth, Chapitre 2, vs 2

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