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histoires d'hier et d'aujourd'hui
30 octobre 2010

Un jour à Mostar

Robert triait ses papiers car il avait l'intention de détruire les plus anciens, quand il tomba sur une lettre d'une de ses amies, Danielle. Il l'avait rencontrée en été 1985 à Korcula. Elle voyageait en solo, à l'aventure, sans guide, au gré des bateaux, des trains et des bus. Drôle de fille.

Comme il s''ennuyait un peu, n'ayant rien à découvrir dans l'ile dont il était originaire, qu' il connaissait dans ses moindres recoins, il passait son temps à pagayer mollement dans sa barque tout en observant les gens sur la plage afin de repérer les nouveaux venus. Ce jour-là, Danielle était une nouvelle. Robert l'invita pour une promenade en mer, autour de l'Ile. Elle accepta sans hésitation.

                                                                                                                                    Korcula

croatie_korcula_41

C'était une petite brunette aux yeux bleus, sans complexe, sans tabou, pas farouche, qui pensait seulement à s'amuser. Plus très jeune, dépassé la quarantaine. Un corps de jeune fille et une petite cervelle. Elle lui plaisait bien.

 Ils sont restés ensemble à bavarder toute l'après-midi et aussi le lendemain. C'est elle qui faisait la conversation, ravie de sa rencontre avec quelqu'un qui parlait le français.Elle lui racontait comment elle était arrivé à Korcula. Atterri à Split, elle n'avait pu trouver un hébergement bon marché et était restée toute la nuit assise sur un banc au bord de l'eau, accompagnée d'une musique d'orchestre; il y avait un dancing sur la rive opposée. Le lendemain matin, aux aurores, elle a emboité le pas à un groupe de femmes qui portaient des paniers sur la tête. Elle s'est dit : "Ces femmes vont certainement quelque part". En effet, elles se rendaient à un arrêt de bus. Elle a pris le bus en même temps qu'elles jusqu'au terminus. Le port maritime de Split. Elle est montée sur un bateau en partance, enchantée de cette croisière improvisée. Elle a débarqué à la première escale, Korcula,  où il fit sa connaissance.

 

Ils ont un peu flirté. Il était assez déçu de ne pas aller plus loin mais elle était hébergée dans une maison privée et comme il connaissait tout le monde dans l'Ile...Cela ne s'est pas fait. Ils sont devenus bons amis. Elle aurait bien voulu qu'il l'accompagnât à Dubrovnik,mais lui n'avait pas envie de quitter l'Ile, ni de dépenser de l'argent alors que dans sa famille, il vivait gratis. Elle a donc continué seule son voyage.

Dubrovnik

dubrovnik_60

 Quelques jours plus tard, il reçut une lettre d'elle.

 

Mostar, le 18 juillet 1985

 

Mon cher Robert,

 Je suis arrivée à Dubrovnik sans problème. Inutile de te décrire la ville. Tu la connais mieux que moi. J'étais éblouie. Je me suis balladée dans la vieille ville.Le bonheur! La magie des belles pierres et des merveilleux bâtiments faisait que tout le monde était heureux. Les gens s'interpellaient à voix forte -surtout les Italiens en grand nombre-, couraient dans tous les sens. Il y avait du monde partout : sur la place, sur les trottoirs, sur les terrasses des cafés. Il n'y avait que rires, exclamations, de la musique : un vrai spectacle

J'ai pu avoir un lit dans l'auberge de Jeunesse malgré l'afflux de touristes. J'ai pris le bateau pour l'Ile de Lochrum. cinq minutes de navigation..., célèbre pour sa baignade. Là encore spectacle improvisé. Un bateau s'était immobilisé dans la baie et on pouvait voir les types faire les malins; on pouvait aussi les entendre nous interpeller. Un peu du n'importe quoi, juste pour l'animation....

 J'aurais pu rester quelques jours à Drubrovnik, mais non, j'avais la bougeotte. J'ai pris un autocar pour Mostar, le lendemain de mon arrivée, tôt le matin. Mostar, principale ville d'Herzégovine, je l'ai appris par la suite. Tu sais que je suis très ignorante.Je ne connais rien de la Yougoslavie sauf que c'est une Fédération, que Tito a rompu d'avec le communisme stalinien en 1948, et s'est rallié aux pays non-alignés.Les journaux nous ont abreuvés de cette histoire pendant des années.

vieux pont de Mostar détruit en 1993

vieux_pont_de_mostar A la descente du car, mes pas m'ont conduite dans le vieux quartier, au pied du fameux pont, vieux de quatre siècles. Je suis restée un moment à observer les gamins qui se jetaient d'en haut, dans la rivière Neretva, rivalisant d'intrépidité. Je ne connais pas la hauteur de l'arche, mais c'est vertigineux.

 Le long de la rivière, il y avait quelques échoppes. J'entrai sans but précis dans un atelier jonché d'énormes troncs d'arbres. Un homme était occupé à équarrir un de ces blocs de bois et lui donner une forme. Des oeuvres achevées gisaient sur le sol : des visages de femmes, des animaux mythiques. J'étais fascinée. Clouée sur place.

sculptureLe temps passait, je regardais l'artiste travailler; je ne partais pas. Personne n'entrait dans l'atelier, nous étions seuls. Comme je restais plantés devant l'homme, il a fermé l'atelier et nous sommes montés à l'étage, aménagé comme une petite chambrette. Il est allé chercher des sandwish. Il écoutait du Georges Mousrtaki en boucle, sans interruption. Il buvait du wisky. L'après-midi s'étirait, mais je restais assise en face de lui, lui faisant la conversation en anglais. Il parlait peu. Nous nous sommes allongés sur le lit et nous nous sommes aimés, jusqu'au moment où il fut temps pour lui de rentrer dans sa famille. Nous avons évoqué l'idée de nous revoir le lendemain matin mais louer une chambre d'hôtel ne semblait pas être dans les choses possibles. Je n'avais pas du tout envie de rester enfermée dans l'atelier jusqu'au lendemain matin. J'ai donc dû me résoudre à reprendre le car de retour pour Dubrovnik.

A un moment donné, il y a eu méprise; il a glissé un billet dans ma main....Devant ma réaction, il a compris qu'il avait tout faux. Il ne m'a plus quittée jusqu'au départ de l'autocar. Nous nous sommes dit adieu.

Voilà, ce que fut ma journée à Mostar.

Je t'écris de l'autobus. Il y a trois heures de route, je te donnerai d'autres détails sur mon retour jusqu'à Split.

A la relecture de cette lettre, Robert resta songeur. Il avait revu Danielle à Paris plusieurs fois, avait fait la connaissance de ses amis et s'était joint à la petite bande pour des balades à Fontainebleau.

Danielle tournait une à une les pages de sa vie, sans revenir en arrière. Elle ne s'est pas souciée de ce qu'était devenu le fameux pont de Mostar, détruit lors des affrontements entre croates et bosniaques, en 1993 , ce qu'était devenu l'atelier de l'artiste, ni cherché à savoir si son amant d'un jour avait survécu au bombardement. Cette région ne l'avait attirée que pour le soleil, le bleue de  l'adriatique, les chef-d'oeuvres architecturaux, et pour couronner le tout en point d'orgue, une belle aventure d'un jour.

Robert a plusieurs identités. Elevé en Croatie, il a fait ses études à Londres, travaille à Paris. Il a épousé une Serbe. .Sa famille et amis ont subi les horreurs des guerres successives. Sa sensibilité multiforme a été mise à dure épreuve

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La politique, il avait été obligé de s'y intéresser dans les détails pour y comprendre quelque chose. Rien n'était stable et définitif. Et la culture dans tout ça? se demandait Robert. Il s'interrogeait : Une nouvelle génération d'intellectuels verrait-elle le jour, qui serait capable de produire des oeuvres sans frontière? Il avait lu "Le Pont sur la Drina" de Ivo Andric, prix nobel de la paix en 1961 , un chef-d'oeuvre qui devrait inspirer les jeunes écrivains.

 

 

  

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