Concordance des temps

23 janvier 2011

« Concordance des temps » une émission sur France-Culture le samedi, dans la matinée. Les invités, d’éminents chercheurs, tentent de relever des similitudes entre des faits actuels et ceux du passé.

Une conversation avec une femme roumaine m’a ramenée à un passé assez lointain qu’on pouvait penser à jamais révolu.

Cette personne, Delphine, aide-ménagère fort sympathique, venait chez moi deux fois deux heures par mois au tarif de 12 euros l’heure, ainsi que chez une vieille dame une heure par jour. Pas suffisamment pour constituer un salaire d’autant plus qu’elle vient de perdre un travail partiel dans une entreprise. Ce qui lui faut, dit-elle, c’est un travail à plein temps. Elle trouve à se faire embaucher à la Défense pour un salaire de 1300euros mensuels. Nous avons fait des calculs. Les horaires, 5 jours par semaine de 8.30 à 17h, plus samedi matin, totalisent 49heures par semaine, soit 6 euros l’heure.

Je suis restée abasourdie. Cette personne, Roumaine, sans papier, va donc travailler « au noir » en toute illégalité 49h par semaine pour 6 euros de l’heure, sans supplément pour les heures supplémentaires et sans que son employeur cotise à aucune caisse sociale. Trajet remboursé ou pas, l’offre ne le précise pas.

Je l’ai exhortée avec force à ne pas accepter ces conditions, sans la convaincre, car disait-elle, si elle n’accepte pas, l’offre ira à une autre personne et elle perdra la place...

L’offre en question émane d’une famille juive, de riches industriels chocolatiers, avec luxueuse villa dans le quartier de La Défense. Des rumeurs concordantes font état de familles juives qui exploitent les aide-ménagères roumaines. Je lui demande alors si ces personnes travaillant sans papiers sont également exploitées par des familles non-juives. Non ! affirme-t-elle, seulement des familles juives, et elle ajoute : « Ces gens sont méchants ! »

Nous sommes, elle et moi, en termes amicaux, avec échanges de petits cadeaux de part et d’autre. Elle sait que je suis juive. Après cette conversation, elle s’est sentie gênée et s’inquiéta de savoir si j’étais choquée. Elle n’aurait pas aimé qu’une fâcherie de ma part vienne troubler notre bonne entente.

Choquée, je le suis à double titre car sont réunis les ingrédients susceptibles d’aggraver l’antisémitisme endémique qui sévit dans les pays de l’Est récemment accueillis dans l’Union européenne.

Premier volet : J’affirme que l’égoïsme de la bourgeoisie juive attise la haine des juifs.

Pendant la première moitié du XXème siècle, en Europe, la bourgeoisie juive fortunée vivait dans l’unique souci de ses intérêts matériels, son prestige, sa célébrité, ses introductions dans les milieux huppés non-juifs.

Marcel Proust, mère juive très riche, père catholique médecin, ne connaît de la Communauté juive que les riches et ne fréquente que les quartiers chics du Parc Monceau et de la Madeleine..

Sur le 531 pages de l’autobiographie Stefan Zweig, « Le Monde d‘hier », trois lignes mentionnent l’extrême dénuement de la population juive d’Europe centrale, qu’il découvre alors qu’il voyage en mission commandée : »Je vis la misère, que je n’avais jamais soupçonnée , de la population juive des ghettos, où l’on habitait à huit ou à douze des pièces de plain-pied ou en sous-sol ». Immense écrivain, on peut lui reprocher son aveuglement, reproche qu’il s’est fait d’ailleurs à lui-même, mais trop tard. Il est rattrapé par ses origines juives, comme des centaines intellectuels viennois de talent, détachés du judaïsme. Dépouillé de tous ses biens, ses livres brûlés, contraint de fuir l’Europe, loin de ses proches et de ses amis, il se suicide avec sa deuxième épouse à Rio en 1942.

Irène Némirovsky. Juive d’origine ukrainienne, née en 1903, romancière talentueuse dresse avec talent dans son livre « David Golder, publié en 1929, le portrait d’un financier, physiquement joufflu et obèse, obsédé par l’appât du gain, accablé par les incessantes demandes d’argent de son épouse et de sa fille. Son roman fait fureur, dès sa parution, et pour cause, une aubaine pour la propagande antisémite. « Le Mémorial de la Shoah » qui lui consacre une exposition veut aujourd’hui oublier que son œuvre littéraire a contribué à donner des juifs une image hideuse, à l’image des caricatures répandues par l’extrême droite entre les deux-guerres. Pendant l’Occupation nazie, elle se convertit au catholicisme et malgré ses appels de détresse en direction des plus hautes sphères du clergé catholique, elle est arrêtée et assassinée à Auschwitz.

Les prétentions et l’arrogance de la bourgeoisie juive viennoise ne désarment pas. J’ai épousé dans ma jeunesse un homme dont la mère viennoise était issue d’une famille de professions libérales conservatrice. Enfant caché à la suite de l’assassinat de ses parents par les nazis, il a survécu grâce aux soins dévoués de cultivateurs en Isère. Retrouvé par des aïeules de la famille de sa mère, il a pu parfaire son éducation à Vienne. Etant donné mes origines juives des faubourgs de Varsovie, cet homme nous a tenus à l’écart, mon fils et moi. J’ai découvert qu’il était snob, estimait qu’un appartement en banlieue était indigne de lui. Il me quitta pour habiter Boulevard Saint-Germain.

Il est notoire que les juifs allemands considéraient les juifs polonais comme des gueux. La sœur de ma mère, tenait un commerce en Allemagne. Elle s’imaginait assimilée à la Société allemande, avec toutes les qualités d’ordre, de méthode et de propreté qui faisaient leur réputation. Elle nous regardait de haut. Les nazis ne l’a pas épargnée, sauf qu’une cousine a pu s’échapper à temps et prospérer en Afrique du Sud.

Deuxième volet : l’antisémitisme des Roumains.

Delphine affirme sans hésitation que seuls les juifs, sont des exploiteurs, ce qui est un credo antisémite.

Le fascisme à la roumaine, c’est en premier lieu « les Gardes de fer », mouvement fondé le 24 juillet 1927, par un individu d’extrême droite xénophobe et antisémite, auteur d’un manifeste dénonçant un complot juif qui toucherait toutes les sphères de la Société roumaine. Parallèlement, plusieurs théories plus ou moins sulfureuses faisant l’objet d’une abondante littérature convergent pour aboutir au concept d’une race supérieure : les Aryens, un ancien peuple de langue indo-européenne qui a inspiré les nazis, d’où la « croix gammée », variante de la svastika (1).

Mircea Eliade, Ecrivain d’une immense érudition, auteur de nombreux ouvrages et articles sur l’histoire des religions, des mythes et symboles, parus dans des revues d’extrême droite a fournit des arguments de propagande aux nazis. Les esprit férus d’ésotérisme dont j’ai fait partie à une certaine époque ont pu se laisser séduire un moment par ses thèses philosophiques et spirituelles ignorant le rapport avec les doctrines nazis.

Allié de l’Allemagne, le régime du général Ion Antonescu, orchestra les tueries des juifs à la manière des nazis. Exemple parmi tant d’autres, Le pogrom de Iaşi du 27 juin 1941, est un des pogroms les plus sanglants dans l'histoire du peuple juif, lancé par les forces gouvernementales roumaines dans la ville de Iaşi contre la population juive.

En 1944, la Roumanie rejoint les Alliés. Le parti communiste stalinien prend le pouvoir le 6 mars 1945. Recrudescence de haine contre les juifs impliqués dans le régime bolchevique.

Le 11 novembre, 2005 le président Iliescu depuis le 20/12/2000 déclare qu'il « assume l'entière responsabilité de l'État roumain pour les atrocités commises par les autorités roumaines alliées au régime nazi durant la Seconde Guerre mondiale. Les discriminations son officiellement abolies en 2006. Elie Wiesel, d’origine roumaine, a œuvré dans ce sens.

Une citation attribuée à Hannah Arendt prétend que : « Si l’on veut détruire les préjugés, il faut toujours en premier lieu retrouver les jugements passés qu’ils recèlent en eux, c’est-à-dire en fait mettre en évidence leur teneur de vérité » ».

Je prétends que croire pouvoir déraciner des préjugés judéophobes plusieurs fois millénaires est illusoire. L’individu juif, qu’il s’identifie comme tel ou non, n’échappe pas aux accusations justifiées ou fantasmées, prélude aux persécutions, pour peu que la conjoncture sociale y soit favorable, pour peu que des incitations à la haine soient proférées par les Eglises ou Mosquées ou pour toute autre raison.

Parmi les artistes juifs roumains , il me plaît de citer Radu Mihaileanu, né en 1958 en Roumanie, à qui nous devons ces trois merveilleux films « train de vi, » «L e Concert », « va, vis et devient ». Fils d'un journaliste juif, il quitte la Roumanie en 1980 durant la dictature de Ceauşescu pour se réfugier en Israël, puis en France où il étudie le cinéma à l'IDHEC. Il raconte :« Une fois le PC au pouvoir, ma carrière stagne. Bien que journaliste et traducteur reconnu, je reste suspect à cause mes origines. Enfant, mes parents m’apprennent ma judaïté, j’en parle naïvement à mes copains d’école… et me fais tabasser. «

Radu Mihaileau

Mon frère aussi s’est fait tabasser à la sortie de l’école par un gamin, fin des années quarante. Il devait avoir onze ans. Je passais en courant sur le trottoir d’en face. Je ne l’ai pas secouru, par lâcheté. Je m'en suis longteps voulu. J’imaginais qu’il s’agissait d’un différend de gosses. Récemment, il m’a dit : « Il m’a tabassé parce que juif, le Pollack ». La population polonaise de notre quartier au Blanc-Mesnil nous a accueillis avec hostilité à notre retour d’exode, en 1945.

Une publication du « Monde Diplomatique » de janvier 2011, note un net renouveau de la droite radical à l’Est. Sous prétexte de retailler les frontières, des formations fascistes militent en se réclamant de la « Garde de fer » en Roumanie.

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(1) Svastika - tourne à droite

"croix gamée" - tourne à gauche

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