Une si jolie petite robe!
J’ai beaucoup hésité avant de m’en séparer. De temps en temps, Je la décrochais de la penderie, la regardais longuement, puis la rangeais à nouveau dans le placard pour une autre saison.
C’est qu’elle était séduisante, cette robe ! Tout me plaisait en elle. Confectionnée dans un tissu uni, écru, elle faisait vraiment chic. Façonnée de plusieurs pans coupés en biais, et cousus du haut jusqu’à l’ourlet, sans ceinture à la taille mais légèrement cintrée, elle s’évasait en godets souples jusqu’à mi-genoux. Elle me donnait une allure légère, une démarche libre et sans entrave. Elle s’enfilait sans effort, grâce à son décolleté rond assez échancré et ses manches courtes couvrant juste le haut des bras. Pas de boutonnage ; la série de boutons qui s'étageait tout le long du corps jusqu’à l’ourlet, c’était juste une garniture, une astuce pour allonger la silhouette. Jamais démodée, elle avait traversé plusieurs saisons, toujours actuelle.
Pratique, seyante, sobre, sans fioriture, elle avait les qualités du vêtement qui se prêtait à toutes les occasions : ville, pic-nique, tourisme, séjour en bord de mer. Infroissable, elle ne donnait aucun signe d’usure ou de fatigue, malgré de nombreux lavages.
Pourtant cet hiver , je me suis rendue à l’évidence : l’été prochain, cette robe ne fera plus l’affaire. Son style jeune ne convient pas à une silhouette de femme septuagénaire. Décidée à m’en défaire, elle alla rejoindre quelques frusques dans un sac en plastique, destination : LE RELAIS, nom de l’Association qui récolte le trop-plein de nos armoires pour leur donner une seconde vie. L’activité a été délocalisée dans certains pays d’Afrique et y crée des emplois.
Je me trouve maintenant devant le conteneur avec mon sac-poubelle et m’apprête à jeter le tout dans le bac. Un grand gaillard s’avance dans ma direction à pas assurés ; un black, belle prestance, l'air pressé. Son pantalon est parsemé de toutes sortes de taches : peinture, cambouis ou huile de vidange, que sais-je ? Il jette un regard circulaire, rapide, puis s’intéresse à mon paquet.
- un chiffon... un chiffon...
………………………
Sa voie est impérative, elle exprime une urgence. D’une main preste , il déchire le sac que je tiens dans les mains, et fouille.
- Qu’est-ce que c’est ?
- Un pantalon taille 42.
Il n’est pas intéressé. Aperçoit du tissus clair et s’en empare sans que j’aie le temps de réagir
- Voilà ! un chiffon, un chiffon
C’est « ma » robe qu’il roule en boule dans ses mains
Il repart aussi vite qu’il est venu, satisfait de sa trouvaille, et disparaît.
Essuyer le cambouis d’un vieux moteur de bagnole fut donc la seconde vie de ma jolie petite robe!.
Un article publié dans le "COURRIER INTERNATIONAL" du 2/9 mai 2013 est intitulé "Ouganda : la fripe occidentale tue le textile africain". - "les vêtements d'occasion venus d'Europe et des "Etats-Unis empêchent le développement de l'industrie locale.