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histoires d'hier et d'aujourd'hui
29 octobre 2013

TOUT SUR MA MERE (1)

Raconter ma mère est impossible, la profonde détresse qui a marqué sa vie est indicible.  Je site des extraits de textes publiés sur mon blog 

 «Les poêles Godin » 29/04/2010

 « L’heure est à la gaieté, douce et discrète. Ma mère est là, les enfants autour. J’enfile une paire de bas que je viens d’acheter avec mon premier salaire en même temps que des souliers vernis et je tends la jambe pour en faire admirer à ma mère le bel effet. Nous rions ensemble de plaisir. Je suis heureuse de la voir rire, elle que je vois si souvent pleurer ».        

 "Mon nom" 30/04/10

La langue Yiddish est riche en diminutif affectueux. Personne ne pourra jamais me toucher au cœur comme ma mère qui usait de doux diminutifs. Lorsqu’elle s’adressait à moi avec des Marele ou des Madichi, l’expression de son visage prenait un air heureux dont le souvenir me cause une douleur profonde, comme un cuisant regret, sans que je puisse en comprendre la raison.

« Souvenirs du passé » 5/05/2010

 Ma mère répétait souvent,: « Tant pis, ensuite ! ». Nous savions qu’il s’agissait des propos d’une enseignante de la classe préparatoire qu'impatientaient les difficultés à lire de mon petit frère. Par la suite, ma mère utilisait la formule hors de propos et sur un ton de dépit pour exprimer toutes sortes de rancoeurs.

 Pendant la guerre, à Cosquéric, ma mère confectionnait des nouilles. Les petits, groupés autour de la table, étaient fascinés par la vitesse avec laquelle le couteau tranchait le rouleau de pâte en fines lamelles.

 L’histoire de Dickens : « Le grillon du foyer » est arrivée à l’oreille de ma mère qui s’est alors avisée d’envoyer les enfants chercher du pain sans argent comme le petit garçon du conte de Dickens. Nous avons refusé d’obtempérer disant qu’un conte reste un conte qui ne peut convaincre une boulangère.

Quand un pneu de bicyclette roulant sur un caillou a éclaté avec un bruit sec, juste devant la maison , ma mère a jeté un cri d’épouvante : « Wi schiesst herein ! »(1) . L’incident fit l’objet de plaisanteries qui égayèrent la famille pendant des années.

 (1)     on nous tire dessus

 « Douleur lancinante » - 10/05/10

 La gaieté fragile de ma mère et le martyr du petit chat, double réminiscence que jeune insouciante je m’étais hâtée d’enfouir dans un abîme d’oubli. Le besoin d’écrire que certains qualifient de maladie exhume brutalement des émotions auxquelles s’ajoutent avec l’âge de plus cruelles encore, celles de ne plus avoir devant soi le temps de remédier aux erreurs du passé, désespoir fou devant le constat que le temps est irrémédiablement révolu où il aurait été encore possible d’éviter que le chat ne souffre et que ma mère ne pleure, plus souvent qu’elle ne rit. Il me reste, en effet, cette « douleur lancinante » dont j’ai douté peut-être un moment, déchirure bien réelle si profondément inscrite dans l’âme et dans la chair que les larmes, si douces pourtant, ne parviendront pas à guérir.

 

« Un soldat de la Wehrmacht » raconte 28/05/10

 Une femme (1) était sortie sur le seuil de sa chaumière. Sans doute à mon approche, avait-elle entendu le bruit de mes pas. Elle restait là, immobile, sans crainte, dans l'encadrement de la porte, comme si elle désirait me parler. Autour d'elle, s'égayait une marmaille sale et dépenaillée, en criant "vite, cachons-nous, un soldat allemand!"Je m'avance vers la femme  avec sur le visage l'expression la plus aimable que je puisse donner à mes traits. J'avais vingt ans. Mon uniforme, seul, était une menace : j'avais laissé mon arme à la base, pour cette balade bucolique. Cette femme, je l'ai vu tout-de-suite n'était pas une paysanne. Quelque chose en elle me disait qu'elle n'était même pas française. Elle se mit à me parler dans un allemand approximatif. Ce dialecte, l'Yiddish, était courant à Berlin où il y avait beaucoup de juifs avant la guerre.

Cette femme, ce parler-là…J'étais ému. Dans le quartier de mon enfance, l'épicière était une femme juive, pareille à celle-ci. Lorsqu'elle m'invita à boire un verre d'eau, j'eus l'étrange sentiment que pour elle, j'étais un jeune homme comme les autres.  Mon uniforme, les bottes, ce n'était plus qu'un vêtement d'emprunt.

(1) ma mère

 

« Chez le photographe » 05/06/10

 La jeune mariée porte une robe blanche, travaillée dans un tissu fluide, montée taille basse, style « charleston ». La jupe tombe en plis souples sur les genoux. Le bord est festonné et brodé jusqu’au milieu de sa longueur sur tout le pourtour. Le corsage, sans manches et sans col, flotte autour du torse , effaçant seins, taille et hanches, pour retomber mollement sur la jupe. Seul bijou, une rangée de perles ras du coup, une autre rangée en sautoir descend jusqu’à la taille. Les cheveux courts ondulent autour du visage. Une frange couvre la moitié du front. Les traits sont beaux, harmonieux,. La main gauche disparaît sous un bouquet de fleurs blanches. La jambe galbée moulée dans des bas couleur chair. Un pied s‘avance, avec la grâce d’une danseuse, faisant ressortir la finesse de la cheville. L’autre pied, en retrait, ne laisse voir que le bout d'une chaussure très fine, de teinte claire.

 Menton rentré, ferme et droit, lèvres entre-ouvertes ;  attitude d’une femme sûre d’elle, de son charme et de sa beauté, bien dans l'esprit des années vingt. Ma mère,  le temps d'une photo.

 

 Une visite qui s'est fait attendre  26/06/2O10

Ma mère avait une répugnance pour la couture : prendre une aiguille et du fil pour coudre des étoiles jaunes à six branches sur nos vêtements dépassait ses compétences. Ma mère était une visionnaire, elle pressentait que ces distinctions sur nos vestes signifiaient notre perte. Elle ne se souciait pas d’obtempérer à quelque règlement que ce soit non pas par esprit de révolte mais simplement parce qu’elle était étrangère au monde dans lequel elle avait été  amenée à vivre...Son coeur était resté dans sa famille à Varsovie. Nous n’avons pas porté d’étoile jaune et aujourd’hui j’en suis heureuse et estime que ma mère était une femme géniale ! 

Mon père, l'anti-héros 26/08/10

"Cette bêtise te coûte sept mois de prison à  la Santé"; maman reste seule sans ressources.  Je l’ai entendu répéter pendant des années que tu avais été mal défendu, ton avocat ne valait rien. .Jusqu’à son dernier jour, elle t'a fait des reproches;  pour d'autres raisons aussi.

« La douleur des autres »    26/11/2010   

Dans mon enfance, j’ai vécu l’écroulement psychique de ma mère au lendemain de la guerre. Rentrée dans sa maison avec son mari et ses enfants, après être passée à travers tous les dangers de l’Occupation nazie, elle a réalisé que toute sa famille restée à Varsovie avait été raflée et exterminée. Enfant nous tentions de dissiper son profond mal-être avec nos jeux , nos chansons, nos danses, sans vraiment y réussir. Mon esprit a été imprégné d’une tristesse morbide, masquée par une réelle joie de vivre et une curiosité insatiable, qui à l’aube du grand âge s’est muée en une douloureuse maladie incurable.

 Berek et Riwka 17/12/10

Il arrivait aussi à ma mère de chanter. Son répertoire était différent. Nous, les enfants, qui l’écoutions, nous connaissons toutes ses chansons, paroles et musique. Elles racontent  les séparations, les retrouvailles, l’amour,  les berceuses. Nous ne pouvons  les entendre aujourd’hui sans une intense émotion.   

"Le Monde D'hier" 5//2/2011

Ma Mère surtout  était en profonde désespérance ; un soutien que nous ne pouvions lui apporter , pourtant nous faisions de notre mieux. Nous rapportions à la maison  de quoi la distraire. Des chansons,  des mimes. Elle était bon public. Elle adorait nos prestations et n’était pas si difficile à égayer

BLEU A L'AME 16/04/12

J'étais une passionnée de la souffrance...Je fréquentais les oeuvres des écrivains que Nancy Huston appelle les « Nihilistes » , artistes qui m'entretenaient dans une tristesse chronique. Le film de Fellini « La Strada » , je me souviens, me plongea dans un profond pessimisme. A sa sortie en 1954, , j'avais fait le déplacement avec ma mère, de Blanc-Mesnil jusqu'à la Place Vendôme.  Dès l'apparition de Gelsomina à l'écran, je suffoquai dans des sanglots incoercibles. Ma mère était l'image même du dénuement, de la misère morale comme l'était le personnage de Gelsomina. Ingmar Bergman m'apportait, lui aussi, son lot de dramatisation morbide : « Le Septième Sceau », « La Source... », etc..    

strada-1954-09-g
                                      « La résilience » 30/10/12

Ma mère a joué un rôle essentiel dans le sauvetage de la famille. A l'annonce des arrestations, (une parente fit le voyage jusqu'à Blanc-Mesnil pour nous avertir) ma mère exige  de mon père que TOUTE la famille parte sans perdre une minute. Mon père pense fuir seul car il imagine que  les hommes sont  uniquement concernés. Le lendemain de notre fuite,  la police française fait une descente pour nous rafler. D'après le témoignage d'une voisine,   les policiers, incrédules, fouillaient la maison de fond en comble : "une famille de cinq enfants ne peuvent leur échapper ainsi du jour au lendemain/ Fouiller, fouiller...".  

Lorsque mon père a ramené les étoiles jaunes du Commissariat où il avait fait recenser la famille, ma mère ne les a pas cousues  sur nos vêtements : à aucun moment, nous les avons portées .  Rien, pendant la durée de la guerre, pouvait nous distinguer des autres réfugiés.

28/04/13

Après avoir connus les logements vétustes des premières années d’exil,(6)-- après deux ans passés entassés à sept dans une chaumière, après cosquéricavoir réintégré sa maison épargnée par les bombes, avec sa famille au grand complet,  mon père était un homme heureux. Heureux ! alors que ma mère souffrait, moins douée que lui pour le bonheur. Lui donner des moyens pour alléger sa condition ne lui venait pas à l’esprit. Elle se devait d’être contente et nous aussi!

 

 L’Affiche 29/08/13

Evoquer le souvenir de ma mère, c'est prendre la mesure de sa misère,   physique et morale, sans nous culpabiliser pour autant. Elle était sensible, et délicate; rien ne l'avait préparée à tenir le rôle que la vie lui a imposée. Avions-nous le pouvoir d'y changer quelque chose?

 Ma mère nous a quittés depuis de longues années. Dans les rares moments où elle était joyeuse et sereine, elle m’appelait affectueusement Marele. c'était comme une caresse et je me sentais l'élue de son coeur. Le serment  qui gît au fond de moi : « A toi pour toujours, ta Marele ».  c’est ma promesse de l'aimer toujours, plus qu’une promesse, une certitude.

 

"Un toit à l'abri des tempêtes" 20/09/14

Ma mère qui pourtant est une grande craintive fait le voyage entre Cosquéric et Blanc-Mesnil avec l’intention de ramener quelques effets oubliés dans la précipitation du départ. Elle traverse Lorient occupé, tenant Marie par la main. La petite fille est fière de son manteau gris perle et, tout en balançant mon petit seau, elle échange des sourires avec les soldats allemands qui défilent en colonne.

 "LE TEMPS RETROUVE" 02/O9/2017 

Un mot ouvrit les vannes d'une terrible douleur dans ma poitrine, alors que, adulte,  je m'apprêtais à inclure des carottes à mon menu. Alors que nous étions enfants, ma mère préparait des « Tzimmes", une recette juive polonaise, un plat de carottes sucrées avec raisins secs et cannelle, symbole d'un monde qu'elle  avait perdu en même temps que tout ce qui lui était cher. En même temps, elle tentait d'être pour nous une mère, alors que nous lui reprochions quelque fois d'en n'être pas une vraie. En refusant de manger ce plat étranger à nos habitudes françaises,  nous la rejetions elle et tout ce qu'elle incarnait. Par notre faute qui la reniait, l'incapacité tragique de ma mère à exister m'est apparue dans toute sa cruauté.  

J'ai été témoin d'un moment différent mais également bouleversant de "temps retrouvé"'. Ma mère , sur son lit d'hôpital, ne me reconnaissait pas lorsque j'allais à son chevet. Elle restait inerte , sans expression, un visage de cire. La veille de sa mort, ma soeur aînée était également à son chevet. C'est alors que pendant une seconde, une bouffée de vie colora le visage de ma mère, un murmure sortit de ses lèvres, une lueur de complicité alluma son regard , en même temps que l'ombre d'un sourire. C'était en septembre 1972, ma mère avait 66 ans, ma soeur 42. Durant cette seconde, elle revivait  une époque où sa fille et elle-même partageaient les mêmes souffrances. Elle avait alors 33 ans et sa fille 10. Mon père était absent, engagé volontaire dans la légion, alors qu'en janvier 1940, ma mère accouchait de mon frère cadet, dans le complet désert d'une lointaine banlieue parisienne. Ma soeur avait alors pris la relève, prenait soin des petits et s'occupait des repas. Le Pendant les années 1940 - 1942  mère et fille étaient unies dans la même énergie de volonté à survivre. A son adolescence, il n'était plus question de dévouement. Débutait une période d'hostilité sans fin (Les rancunes de ma soeur ainée se prolongent au-delà de la mort).

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 (1) "tout sur ma mère : le titre d'un film d'Almodovar.

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