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histoires d'hier et d'aujourd'hui
26 novembre 2020

La haine en partage

 "Marco Koskas* raconte l'histoire d'une famille dans un roman:  " Ivresse du reproche". J'observe d'étranges similitudes avec ce que fut la mienne. " Julie Kamous déscolarise sa fille Hannah, à peine âgée de 13 ans qui rêvait d'une carrière dans l'enseignement. Hannah devient bonne dans sa propre famille et ce n'est que le début de la perte de ses illusions. A 18 ans, elle est mariée sans même pouvoir donner son avis "

 C'est ainsi que mon père usa de son autorité et retira ma soeur aïnée de l'Ecole ORT, une Institution qui prépare les jeunes filles juives au C.A.P. de couture. Il avait acheté une machine à coudre et entendait utiliser sa fille corvéable à merci pour ravauder des vêtements militaires déchirés, vendus à la tonne par l'armée américaine. On disait à l'époque "surplus américain" , une marchandise qui s'arrachait sur les marchés des banlieues .

 Plus tard, il organise son mariage; Le couple va mal. Le jeune mari est instable, joueur, dépensier. Il se révèlera être un aventurier , dilapidera son héritage et finira sa vie en République dominicaine, complètement ruiné , n'en laissant pas une miette à sa femme et ses enfants. La mère était propriétaire d'un atelier de confection. Longtemps, elle a tenu ma soeur sous sa coupe. C'était tout bénéfice.

 Elle fut aussi la sacrifiée à une toute autre époque. Elle venait de réussir son certificat d'étude primaire. C'était en 1944. Elle avait 14ans. Nous étions hebergés dans une seule pièce  -deux adultes et 5 enfants- dans un hameau en Bretagne. Mon père l'envoie travailler dans une ferme située à une certaine distance. Le fermier l'agresse sexuellement. Elle s'enfuit, marche toute la nuit. Au petit matin,  elle arrive au village. Mon père se tient devant la porte. De loin, il lui crie retourne d'où tu viens!. Elle n'a pas d'autre choix. Elle travaille un an dans cette ferme pour 1franc par mois. Une fois encore, elle s'enfuit lorsque le fils de la maison s'apprête à la frapper à mort  Heureusement, nous étions proche de la Libération.

 Ma soeur aînée diffusera toute sa vie une haine farouche à l'encontre de notre père, haine qui fait tâche d'huile  et atteind  toute la fratrie.  En premier lieu contre mon frère aîné que nous  détestons, nous les trois filles,  avec la même intensité mais pour des raisons variables. Nous subissions son autorité auto-proclamée, vicieuse et malfaisante, sans que nos parents y trouvent rien à redire.

 Mes frères et soeurs , depuis quelque temps, occupent mes nuits. Au cours d'un rêve nocturne, une cruelle réalité a émergé de mon inconscient :

" dans l'apprès-midi. Je me réveille. Je réveille Juliette couchée dans la pièce à côté. Elle a dû sortir et se coucher tard. J'entends Hélène dans l'autre pièce. Je pense que mes parents sont là aussi. Je suis prise d'un affreux désespoir et je hurle encore et encore "Personne s'occupe des autres!!" en proie à un sentiment de solitude morale insupportable."

Je n'aspire à rien de mieux pour l'avenir car je suis moi-même atteinte de cette maladie de l'âme qui rend méfiante et hostile. Bienveillante , je l'ai été, sans esprit de revanche, je l'ai été et je le suis encore . Pourtant, les vexations, la violence et goujateries que les uns et les autres m'ont fait subir pèsent assez lourd pour que  la somme des  souvenirs que j 'ai de mon enfance est au minimum "Personne  s'occupe des autres"

Plus nous avançons en âge, plus s'agrandit ce qui nous sépare?   "....Mon impuissance à faire partager mon désir de paix et d'acceptation. L'inutilité de mes efforts pour que notre existence se déroule dans un climat durable d'acceptation de l'autre dont chacun bénéficierait de la même manière.Le répugnant est là mais on ne peut le saisir , nous sommes tout simplement en son pouvoir. Peut-être eut-il mieux valu ne pas se comporter avec hostilité, ce qui aurait fait fuir les mauvais esprits. Introduire dans l'atmosphère des mots moins néfastes et voir se dissiper peu à peu l'horreur suscité par un marasme momentané inexplicable issu des fonds noirs de l'être qu'il faudrait plutôt apprivoiser par la grâce du'n sentiment d'amour qu'on tirerait de soi ou qu'on pourrait trouver quelque part. L'attirance de l'âme vers le bas est telle, qu'on n'a peu de force à opposer à cette puissance. Celui qui vomit sa rancoeur est précipité vers le bas encore plus irrésistiblement que celui à qui ces qualificatifs s"appliquaient au départ. Car si l'ignoble arr'ive jusqu'à la bouche c'est que déjà dans les profondeurs , celui qui les prononce baignait déjà dans l'infamie ,dans l'avalissant ,dans la honte "

Avalissantes étaient les conditions dans lesquelles nous avons vécu tous ensemble. La haine que nous vouons maintenant les uns aux autres, frères et soeurs, c'est la honte dont il est impossible de se défaire qui a fait de mon frère un être détestable. L'avilissement a fait son oeuvre jusqu'à tard dans nos vies de femme. Mon mari a continué cette oeuvre de mépris à mon égard et à l'égard de mon fils qu'il n'aurait pas voulu voir venir au monde. L'enchaînement d'indifférence, voir d'hostilité qui approfondit encore ma solitude s'étend irrémédiablement de proche en proche, de génération en génération.

En ce qui nous concerne, il est faux de dire " il (l'humilié)  se fige dans l'attente d'une réparation trop souvent hypothétique, au lieu de se donner les moyens d'une sublimation, d'un dépassement positif dans des engagements constructifs. "Extrait du livre "ci-gît l'amer"  de Cynthiat Fleury**. Nous avons tous été des résilients, chacun à sa façon, et en nous tournant le dos les uns aux autres, dans une démarche de compensation au profit du "chacun pour soi".

 

*Marco Koskas est un écrivain franco-israélien né en Tunisie1.

** Cynthiat Fleury , née en 19741 à Paris2, est une philosophe et une psychanalyste française

 

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