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histoires d'hier et d'aujourd'hui
9 juin 2010

Un enfant dans la tourmente.

poulailler_399781

 

Un enfant de neuf ans vit une scène traumatisante pendant l’Occupation. Il raconte :

 

Ce devait être un jeudi puisque nous, les enfants, n’étions pas à l’école. Il était midi sans doute car j’avais très faim, n’ayant rien mangé depuis la veille. Je n’osais pas me servir une tartine, bien qu’il restât  le quart d’une grosse miche de pain sur la table. Je restais figé au milieu de la pièce, les yeux rivés sur ma mère et ma tante qui échangeaient des propos violents, avec des voix menaçantes, dans un flot de paroles en Iddish dont le sens m’échappait. Je me tenais prêt à bondir dans les jupes de ma mère pour la défendre au cas où elles en viendraient aux gifles. Mes cousins s’étaient éparpillés dans la cour et jouaient avec les petits voisins comme si de rien n’était. La silhouette de mon oncle apparu dans l’encadrement de la porte. La scène ne le surprenait pas, il était habitué aux disputes. Les deux femmes ne s’entendaient pas. Il jeta un coup d’œil dans l’âtre : le feu n’avait pas été allumé. Il se dirigea alors d’un pas rapide vers le chaudron posé sur le trépied et souleva le couvercle; il n’y restait qu’un peu de soupe froide de la veille. Lorsqu’il vit que rien n’avait été préparé pour son repas, il rugit de colère et d’une voix haineuse, il s’en prit à ma mère :

 

-   Je ne vous supporte pas dans cette baraque toi et ton fils avec vos manières ! Vous êtes de trop, Il n’y a pas de place pour vous ici, Oust ! dehors !. Je t’ai assez prévenue. Je ne voulais pas que tu viennes avec nous jusqu’ici !

-         Où veux-tu que j’aille, Simon ? Il y a des Allemands partout. On arrête, on fusille à quelques kilomètres d’ici.

 

Mon oncle resta muet dans une attitude de marbre. Ma mère se raidit aussi et sur un ton de menace :

 

- T’oublie que c’est grâce à moi que vous êtes planqués dans ce patelin. Si je n’étais  pas venue vous prévenir jusqu’à Blanc-Mesnil qu’on ramassait les Juifs dans le Passage des Fours-à-Chaux, vous seriez tous en ce moment dans le même wagon que ton frère Maurice.  ! Je te préviens Simon, s’il nous arrive quoi que ce soit une fois hors d’ici, à mon fils et à moi, crois-moi, vous êtes bon pour le "Grand Voyage "!

 

-         Sois tranquille, ma chère, si nous faisons le "Grand Voyage", comme tu dis, vous deux vous le ferez aussi !

 

Les yeux exorbités, je me tournais tour à tour de ma mère à mon oncle. La sueur me coulait sur tout le corps. Je portai mes mains à mes joues, elles étaient brûlantes. L’angoisse m’étranglait, ma bouche béait de stupeur. 

 

Mon oncle empoigna la paillasse où dormait habituellement ma mère et la balança avec violence à travers la porte  ; elle atterrit près du tas de fumier, au milieu de la cour. Je sortis en courant et attendis : je pressentais un désastre. Des vêtements et des chaussures volèrent dans ma direction, faisant se sauver la volaille. Je me précipitais au fur et à mesure sur les objets, les rassemblais avec soin et les disposais en piles : ma mère détestait le désordre. Cinq minutes ne s’étaient pas écoulées qu’elle sortit avec la mallette dans laquelle elle serrait ce qu’elle avait de plus précieux. La porte se ferma sur nous. Les enfants s’étaient attroupés autour de la scène et observaient en silence, l’air grave. Mais moi, je ne voyais personne, je ne connaissais plus personne, j’étais accablé de honte. Je m’accrochais à ma mère pour ne pas m’effondrer. Je la savais courageuse et même téméraire. Pourtant, des larmes coulaient sur ses joues, sans qu’elle y prêtât attention. Elle fit un baluchon de nos vêtements et m’entraîna sur le chemin qui menait au Faouët. Lorsque les quelques maisons de Cosquéric disparurent au détour du chemin, une question commença à me torturer : « Où allons-nous dormir ce soir ? » Au bout d’un moment, elle s’assit sur une grosse pierre au bord du chemin et s’essuya le visage avec le revers de sa manche. Elle m’attira à elle et me serra fort dans ses bras.

 

-         Ne t’inquiète pas Maurice, nous allons directement chez le Maire. Lui, nous donnera un logement. Tu sais que c’est un Résistant ; il ne nous dénoncera pas.-         Ecoute-moi bien, souviens-toi bien de ce que je vais de dire. Si on te pose des questions, tu dis : «  Nous sommes des réfugiés Polonais, tu entends, des réfugiés polonais ! Nous venons de Lorient, nos affaires et nos papiers ont été détruits dans le bombardement du quartier(1). Tu n’as jamais été à Cosquéric, tu n’as pas d’oncle, ni de tante ni de cousins. En Bretagne, tu n’as personne d’autre que ta mère ». Tu diras ça et pas autre chose.

 

Je secouai la tête et je promis. L’important était de la rassurer, de lui montrer que je n’avais pas peur, qu’elle pouvait compter sur moi, son fils. 

 

Nous sommes restés deux ans au Faouët, jusqu’à la libération de la Bretagne par les Américains. Nous ne sommes jamais retournés à Cosquéric, bien que le hameau ne soit distant que de trois kilomètres. Je n’ai pas revu mes cousins. De retour à Paris, de nombreuses années se sont écoulées sans qu’il soit fait mention de cette famille entre ma mère et moi. Récemment, une de mes cousines a désiré me rencontrer. Nous nous sommes revus chez moi et avons longuement évoqué cette époque.(1)

 

(1) voir le texte « Une visite qui s’est fait attendre ».


1 Entre janvier et février 1943, des bombardements très intenses de la R.A.F. démolirent les quartiers de Lorient qui devint inhabitable. « Le Morbihan en Guerre » de Roger Le roux – Editions régionales de l’Ouest page 190 à 204

 

A propos de cette période , voir aussi sur le blog mes textes

« Une famille à l’abri… » 01/05/2010

"La vraie vie" 01/05/2010

 « Un père en question » 09/05/2010

 « Une enfance heureuse » 15/05/2010

 « soldat de la Wehrmacht » 28/05/2010

 « on préférait les étrangers » 19/06/2010

 « « Plaque du souvenir » 16/08/2010

 « Mon père, l’antihéros » 26./08/2010

 

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Commentaires
J
C'est tres interessant de lire ces evenements<br /> pour moi. Je n'ai aucun souvenir de cet episode<br /> qui est decrit ici. Notre cohabitation avec<br /> Madame Pollard et son fils Maurice etait apparem-<br /> ment tres difficile. Il est heureux que cela<br /> se soit quand meme bien termine puisque les deux<br /> familles sont rentrees au complet a la fin de la<br /> la guerre. Juliette
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