Une enfance heureuse dans les landes bretonnes

Toute dégoulinante de cheveux pas coiffés, d’habits rapiécés, de mains égratignées, de joues mal lavées. Souveraine, elle était gavée de liberté, à ne plus savoir qu’en faire. Elle règne sur les espaces sans borne ni palissade, reine des herbes dans la lande, plus haute qu’elle, des aurores et des crépuscules qu’elle posse sans partage. Elle aime cette terre de chaos et de solitude. Elle en respire la saveur. Les ténèbres ne lui font pas peur. Elle vit le doux syncrétisme des premiers matins que rien ne vient élucider.  Elle n’est ni adulte, ni enfant, juste un feu follet courant dans le vent, en marge des cimetières. Un éclat de rire, une lueur dans les yeux.

Elle gambille parmi les êtres, intouchable, désincarnée, que nul n’ose blesser.  A six ans son destin est scellé. Le Jardin d’Eden s’est urbanisé, quadrillé, de routes et poteaux de signalisation, Elle est inscrite au Cours préparatoire, contrainte et forcée. La rentrée des classes, le 1^er octobre 1943 lui est un martyr.

Les années passent. Plusieurs décennies, en vérité.  La fête foraine éteint ses lumières. Il lui reste un peu d’éclat dans l’œil .  Elle garde au fond d’elle-même une légende qui palpite, belle et vibrante, entourée de mystère : le soleil jouant dans les ajoncs, les amoureux des bals de Saint-Jean, les ombres géantes se mouvant  sur les murs, les soirs de veillée, le chaudron  noir qui se balance au bout de la crémaillère, dans l’âtre suintante. Souvenirs d’enfance qui jamais ne s’éteignent.

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Une enfance entre  1942 et 1944, celle d’une gamine qui n’a peur de rien et qui, par chance, n’a eu à affronter aucun danger réel. Enfant cachée qui ne se cache pas. Elle a deux frères et deux sœurs qui ne se cachent pas non plus. Ils disposent d’un espace sans limite. Le lieu-dit de Cosquéric comprend quelques masures autour d’une cour commune, pas de clôture, pas de barrière. A l’arrivée de la famille au Faouët, le Ils sont hébergés dans une masure d’une seule pièce.(1). Ils y restent jusqu’à la fin des hostilités. Deux ans, les pieds nus dans les sabots et vêtus de hardes,  à vagabonder dans la lande. Le paradis. Pas d’eau courante, pas de sanitaire, pas d’électricité : des fermes, des champs, la lande à perte : un couple d’enseignants inculque aux petits Bretons le programme laïque et obligatoire de l’école primaire républicaine.  L’aînée passe son certificat d’étude à 13 ans. A l’Ecole Saint-Jean, on ne parle jamais de la guerre.  C’est un lieu d’étude et de discipline où l’on doit se présenter les mains propres et les cahiers bien tenus.

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Beaucoup plus tard les historiens publient le compte  des massacres et des atrocités. A quelques kilomètres de là, au Faouët, une Cour martiale s’était installée dans le collège Saint-Barbe, transformant les locaux en antichambre de la mort pour des Résistants arrêtés au cours de patrouilles allemandes.

Aujourd’hui, l’Ecole abrite des abeilles,  bien que gardant sur sa façade l’enseigne  : Ecole de Saint-Jean. Les murs ont gardé l’odeur un peu poussiéreuse des livres de lecture. On pourrait y entendre sans surprise chanter en chœur les tables de multiplications.

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A propos de cette période, voir aussi sur le blog, mes textes :

« Une famille à l’abri… » 01/05/2010

"La vraie vie" 01/05/2010

 "Souvenir du passé" 05/05/2010

« Un père en question » 09/05/2010

 « soldat de la Wehrmacht » 28/05/2010

 "Visite tardiveé 06/06/2010

« enfant dans la tourmente“ 09/06/2010

 « on préférait les étrangers » 19/06/2010

 « « Plaque du souvenir » 16/08/2010

 « Mon père, l’antihéros » 26./08/2010

Notre maison à Cosquéric entre 1942 et 1944.