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histoires d'hier et d'aujourd'hui
17 décembre 2010

A Propos du Shtetl

Il arrivait à mon père de chanter tout en triant de vieux métaux dans notre cour. Il chantait à pleine voix à la manière des chantres dans les synagogues. Sa voix était ample, lyrique, modulée. Il arrivait aussi à ma mère de chanter. Son répertoire était différent. Nous, les enfants, qui l’écoutions, nous connaissons toutes ses chansons, paroles et musique. Elles racontent  les séparations, les retrouvailles, l’amour,  les berceuses. Nous ne pouvons  les entendre aujourd’hui sans une intense émotion.                                                

                                                                                                             

Il arrivait aussi à mon père de raconter sa jeunesse à Czyste, un faubourg de Varsovie, à l’Ouest de la Vistule. J’ai relevé que Isaac Bashevis Singer a mentionné l’Hôpital de Czyste dans son roman « Le petit monde de la rue Krochmalna »(1), . Cette rue Krochmalna était connue pour être un repère de la pègre juive.KRICHMALNA

 

Szyja , mon père, égrenait  avec bonheur la période heureuse et insouciante de sa jeunesse à Czyste. A treize ans, il travaillait déjà.Il était fier d’être tapissier et son patron était content de lui. Il donnait son salaire à sa mère qui devait subvenir aux besoins d’une nombreuse famille. Mon père disait : il y a des riches et il y a des pauvres. Il faut accepter son sort. Dans la maisonnée de mon grand-père Berek,  c’était l’indigence, ce qui n’entamait pas le moral de Szyja. Il  n’aurait pas été quémander quelques groszy  à un parent nanti, même s’il n’y avait pas de quoi garnir la table. Quand il y avait une rentrée d’argent, on célébrait pompeusement le Shabbat.   

 

Une législation discriminatoire cantonnait les juifs à de petits métiers peu lucratifs, d’où la grande pauvreté des populations. Tantôt les gouvernements relâchaient les persécutions, tantôt ils les intensifiaient.De temps à autre, des  « pogroms »(2) s’abattaient sur les quartiers juifs : pillage, destruction, assassinat, tout était permis. Les Autorités fermaient les yeux ou encourageaient ces crimes.

 

En Europe centrale, les juifs vivaient dans des bourgades, agglomérations intermédiaires entre le monde rural et urbain :   Le Shtetl. Le mot  vient du mot allemand Stadt, ville, déformé en Stodt dont  le diminutif shtetl. Les diminutifs que la langue Yiddish aime utiliser donne une tonalité  tendre, intime. Le shtetl était le lieu d’attache des juifs. Ils n’avaient d’ailleurs pas le choix ; les lieux de résidence leur étaient imposés. Les juifs y menaient cette vie particulière dictée par les préceptes judaïques bien orchestrés par le Rabbinat.  Ils avaient leur façon de  s’habiller, leurs habitudes alimentaires, leurs écoles, leurs lieux de prières. La révolution de 1905, puis celle de 1917 en Russie furent un raz de marée idéologique fissurant l’homogénéité du shtetl.  Les jeunes s’opposaient aux parents, lisaient les journaux, se ralliaient aux meneurs idéologiques, menaçant la toute puissance du carcan rabbinique.

PLAN                                                                                                                                     Czyste, Kolo à l'Est de  la   vistule      

  Bérek était un homme d’étude, il était rabbin, un cohen (3), prêtre en hébreu, attaché au service de la Synagogue. Szyja  aussi était cohen par transmission. .

hommes d'études

DANS_LA_RUE

 

Berek a été exclut de la communauté rabbinique locale parce que  Szyja travaillait le samedi . Berek devait se rendre à pied dans une synagogue éloignée de son domicile. A l’époque le rabbinat orthodoxe avait la mainmise sur la communauté, veillait à l’observance absolue des préceptes, avait le droit d’exclusion.

 

Mon père vouait une grande admiration à sa mère, Rywka,  femme vaillante et courageuse. Elle conduisait une charrette à cheval et parcourait la ville, ramassait du charbon en toute illégalité, en plus de tenir une échoppe. Elle n’avait pas peur des gendarmes, disait mon père. Elle savait les embobiner et se tirait de toutes les situations délicates.

 

Il n’entrait pas de livres profanes dans la famille Berek, encore moins des pamphlets politiques, quelquefois un journal local. Pourtant la culture juive était riche d’une littérature en Yiddish. Face au corpus des textes sacrés, son existence même représentait un acte de rébellion.  Les femmes n’accédaient pas à l’hébreux. Il existait des Bibles traduits en Yiddish. J’en ai lu des extraits. Quant aux garçons, ils parlaient le Polonais dans la rue avec les copains.

 

Rachel Ertel, spécialiste de l’univers yiddish a publié une anthologie des écrivains qui, traduits de l’Yiddish en français, nous sont aujourd’hui accessibles : "Une maisonnette au bord de la Vistule" (4). Szyja ne lisait que le journal, mais il était passionné de théâtre. Le théâtre Yiddish était florissant . Il se donnait un rôle éducatif : dénoncer la désuétude des mœurs juives d’alors, « l’obscurantisme » du « Hassidisme »(5) , permettre une ouverture vers le monde moderne. Le goût du spectacle lui est resté. Quand un chapiteau s’installait dans les parages, il nous emmenait au spectacle.

th__tre

 

the_rabby_family

RACHEL_ERTEL

 

L’aîné de Berek Abraham né en 1897 quitta la famille en 1921. Avec son épouse, Mary, il traversa la Pologne, l’Allemagne et la France jusqu’au Havre et prit le bateau pour les Etats Unis. Nous avons des oncles et des cousins aux Etats-Unis.

 

Le cadet Moszek né en 1899 émigra à son tour et s’installa dans la région parisienne. Il eut deux filles, dont l’une était mariée et mère d’un bébé. Toute la famille a été exterminée par les nazis.(6),

 

 

Quelques années plus tard, ce fut au tour de Szyja, de préparer son départ pour l’Ouest. Berek et ses amis se mirent à la recherche d’une fiancée. Une jeune fille de Kolo, Szajndla, d'un faubourg voisin,   lui fut présentée à l’occasion d’une fête. Les jeunes gens se sont plus. Le Rabbin les maria.  Pour payer la noce et les frais du voyage,  les amis de Berek se cotisèrent. On imagine la douleur de Berek et Rywka de voir partir leur troisième fils. Berek  lui remis son châle de prière avec sa bénédiction au moment des adieux.

 

Szyja et Szajndla  : leurs noces

papa_maman

 

Szyja reçu une courrier de Berek en 1942, puis plus rien. Engloutie la famille de Czyste. Engloutie la famille de Kolo. A la fin de la guerre, les faubourgs à l’Ouest de la vistule ne furent plus qu’un champ de ruine. L’insurrection d’août 1944 menée par l’armée polonaise dans sa phase la plus meurtrière, s’est déroulée dans ce secteur. Il n’y avait plus de juifs depuis longtemps, ils avaient été expulsés et enfermés dans le ghetto, pour être expédiés dans les camps d'extermination par contingents.

 

Le couple traversa la Pologne, entra en l’Allemagne où il séjourna chez une parente avant de venir s’installer dans la région parisienne. Les juifs sécularisés déjà engagés dans un processus d’assimilation  virent arriver avec effarement les vagues d'émigrants de Pologne,  misérables et loqueteux.La famille de Syja et Szajndla et leur cinq enfants échappèrent à la  rafle de juillet 1942, alors que tant de juifs  parfaitement intégrés et même convertis au catholicisme moururent en déportation. (7)

 

Szyja et Szajndla sont restés marqués par le mode de vie du Shtetl. Ils ont gardé secrètes leurs croyances religieuses, ne pratiquaient pas et ne nous ont initiés aux rituels judaïques.  Ils étaient imperméables aux habitudes et valeurs de la Société française. Leurs amis parlaient le Yiddish. Ils étaient comme eux  forains  ferrailleurs, chiffonniers, vendeurs de surplus américains. Plus tard, ils ont fait l’acquisition d’un stand au Marché aux Puces de Saint-Ouen, rue Jules Vallès.

 

Mes parents n’imaginaient pas autre chose que ce niveau de vie de misère qui avait été leur lot dans leur famille respective. Quand mon père a gagné de l’argent, il ne voyait pas l’utilisation qu’il pouvait en faire et continuait à nous faire vivre dans le manque de confort, le manque d’hygiène, dont nous avons souffert pendant notre enfance, intolérable pour ma mère qui y laissa la santé. Dès quatorze ans, c’était la mise en apprentissage chez un tailleur seloin le style éducatif du schtetl.

 

Nous les voyions revenir rayonnants de la Rue des Rosiers, un Ilot d'Yiddishkeit, dans un océan culturel qui leur était étranger. Ils avaient les bras chargés des provisions achetés chez Goldenberg(8). Certains plats de ma mère, me restent en mémoire : Bortsch, ferfels, klops, lockchens…latkes(9)

 a_tableSzyja repose dans le caveau des hommes et  Szajndla dans le caveau des femmes, carré juif du cimetière de Bagneux, qu’ils partagent avec leurs compagnons de route, les petits marchands de Paris.

 

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(1) « Le petit monde de la rue Krochmalna », page  199- Edition folio 1993.

 (2) « pogroms » -  terme emprunté au russe désigne une action violente antisémite populaire consistant au pillage et massacres des juifs.

 (3) Cohen – Le titre de Cohen a été conféré à Aaron, frère de Moïse. Depuis cette époque, les Cohanim continuent à jouir d’un statut distinctif dans le judaïsme orthodoxe. Ils sont dispensés du « rachat du premier-né.

 (4) – « Une Maisonnette aubord de la Vistule » - Albin Michel 1988

 (5) –Hassidisme : un mouvement religieux Juif fondé en Europe de l’Est mettant  l'accent sur la célébration,       la danse, le chant

 ((6) Moszek, - voir le texte « Le Mur des Noms » publié le 27 août  sur le blog

(7) – Irène Némirovsky, femme de lettre avait déjà publié plusieurs romans avant la guerre. Juive convertie, elle fut arrêtée en juillet 1942 par la police française dans le petit village de Bourgogne où elle était repliée, puis déportée à Auschwitz

 (8) Célèbre épicerie juive, aussi restaurant, Rue des Rosiers,

(9) soupe aux betteraves rouges, petites pâtes séchées, pain de viande au four, pâtes fraîches, galettes de pommes de terre

 

Quelques textes du blog peuvent être consultés :

-         29 avril 2010 « les poëles Godin »,

-         1er mai 2010  «  Une famille à l’abri des tempêtes »

-         9 mai 2010 «  un père en question »

-         5 mai 2010 « Chez le photographe »

*         10 juin 2010 "On préférait les étrangers".

-         26 août 2010 « Mon père, l’antihéros

-         14 janvier 2011 "Madame Boissière"

-          30/10/12 "Tous résilients".

FURZAIG

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Commentaires
J
Recit interessant et emouvant de la vie<br /> des juifs dans le shtetl de Pologne avant<br /> la 2eme guerre mondiale. Il est aussi<br /> explique ce qui s'est passe lorsque certaines<br /> de ces familles se sont installees en France.<br /> J'ai bien apprecie toutes les references qui<br /> y sont mentionnees et les photos.
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M
Réparation d'une erreur : il faut lire Rywka et non Rwyka.
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