TOUS RESILIENTS
Dans le cadre de l’émission « La Grande Librairie » du 27 septembre, François Busnel reçoit plusieurs écrivains dont Boris Cyrulnik, connu pour avoir popularisé le concept de résilience dont une brève définition pourrait être : « capacité à surmonter les traumatismes et se reconstruire ». Il vient de publier « Mourir de dire ».
Un ouvrage collectif « Résilience – connaissance de base », rend compte d’ analyses scientifiques qui remontent jusqu’à l’origine du mot, élargissent et nuancent son champ d’application. En effet, « la résilience connaît de multiples déclinaisons et recouvre des conceptions variées, voire opposées ».
Mes parents, originaire de Varsovie, se sont installés à Paris. Cinq enfants sont nés entre 1930 et 1940 ; trois filles et deux garçons. Nous avons échappé aux rafles de 1942 et avons été hébergés pendant la durée de la guerre dans un hameau de la Bretagne profonde. Les agriculteurs nous ont adoptés et nous avons été heureux.
A la libération, mon père a ramené son petit monde, sain et sauf. Nous avons posé nos baluchons dans une maison vide et délabrée. Les années ont passé sans que nos conditions d’existence s’améliorent. Notre enfance s’est déroulée dans un foyer sans âme, sans confort et sans dignité, dans un climat sordide, anarchique et violent.
Repliés sur nous-mêmes, oui, mais pas tout-à-fait : il y avait l’Ecole, les relations avec les Enseignants, la discipline scolaire, les séjours dans les colonies de vacances pendant lesquels nous pouvions exercer notre créativité. La honte qui s’est incrustée en chacun de nous a été un obstacle que nous avons surmonté.
Nous nous considérons comme résilients.
(H) Sortie de l’Ecole primaire avec le Certificat d’études. Mariée à un homme instable et irresponsable, elle peine à assurer l’éducation de ses deux enfants. Un divorce désastreux brise sa vie. Depuis plusieurs décennies, elle travaille à sa résilience avec acharnement. Elle réussit à gagner une popularité locale comme chanteuse. Deux enfants : un garçon professeur de littérature comparée à New York, la cadette, gère un service de kinés dans un hôpital de la région parisienne. Tous deux ont auto-financé leurs études.
(M) Certificat d’études primaires. Après quelques tentatives d’insertion dans le monde du travail découragées par mon père, il se résigne à rester auprès de lui. Au bout de quelques années à son service, mon père lui cède un stand à Saint Ouen qui lui permet de gagner beaucoup d’argent. Il acquière un patrimoine immobilier. Trois enfants : l’aîné, polytechnicien,. La cadette est architecte d'intérieur, Le dernier est à la tête d’une Société informatique.
(moi) Sortie du collège avec le BEPC, j’ai obtenu quelques diplômes préparés en cours du soir. J’ai passé quatre ans à l’étranger : Londres et Vienne. Mon fils a obtenu un B.T.S. d’électronique et fait carrière dans la téléphonie de pointe.
(J)Malgré ses excellents résultats scolaires, mon père la retire de l’école à 14 ans pour la mettre en apprentissage. Elle se marie et s'expatrie à Los Angeles. Le couple acquière un patrimoine immobilier. Deux enfants : une fille mariée à un génie de la construction, un garçon instituteur d’enfants difficiles, un choix.
(A) est né 1940 à domicile dans les pires conditions. Sorti de l’école primaire avec le Certificat d'études, il est livré à lui-même, sans formation professionnelle. Il séjourne deux ans aux U.S.A. chez un cousin. A son retour, mon père lui cède un stand à Saint-Ouen. Il gagne beaucoup d’argent. Ses deux enfants vivent aux Etats-Unis: un fils travail dans l'audio-visuel, une fille avocate à Chicago.
Mon père a été résilient sur le tard. Dans ses vieux jours, il fut heureux, tout pénétré du sentiment d’avoir accompli son devoir d’époux et de père de famille. Il a réalisé son rêve : un logement à Paris, dixième arrondissement, avec salle de bain équipée d’une baignoire, confort qu’il n’avait jamais connu auparavant.
La perdante de toutes ces résiliences est ma mère. Pour elle, pas de résilience. Ligotée à mon père corps et âme, ayant perdu tous les siens massacrés par les nazis, elle s’effondre après la guerre. Ses désirs d’indépendance, ses besoins les plus élémentaires sont ignorés. L’argent rentre dans la poche de mon père mais ne sert pas à améliorer sa condition, ni la nôtre. Enfants, nous sommes dans le même panier, aussi démunis qu’elle d’hygiène, d’attention et de confort. Sur le tard elle perd la vue à cause d’un diabète mal soigné. Elle meurt à l’Hôpital d’Eaubonne dans une complète solitude.
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Dans son ouvrage « La face cachée de la résilience » - Pierre-Brissiaud prend le contre- pied du triomphalisme que Boris Cirulnik arbore. Fort de son expérience de thérapeute, il juge que le résilient, acharné à intégrer les valeurs sociales, à se conformer au moule, à la norme, étouffe les vraies aspirations de son moi intérieur. Il se constitue une carapace, refoulant les traumatismes au plus profond de son inconscient. Des résilients de ce type, il en a reçus des dizaines dans son cabinet de consultation.
J’ai relevé dans le livre de Serge Tisseron bien de sages paroles. L’auteur insiste sur les divergences autour des définitions du concept, sur les différentes modalités chez un même sujet suivant les étapes du parcours. De plus, valoriser la démarche résiliente d’une personne est discriminatoire par rapport à ceux « que la vie a blessé dans leur corps ou dans leur esprit et qui ne semblent pas avoir « rebondi » selon les critères sociaux en vigueur. »
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