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histoires d'hier et d'aujourd'hui
29 avril 2010

Gare d'Alès, trois minutes d'arrêt

Gare d'Alès, trois minutes d'arrêt!

 

 

A la gare d'Alès, nous nous sommes retrouvés à trois finalement, Philippe, Bernard et  moi. Il y avait eu des désistements. C'est Philippe qui avait mis la petite annonce dans la revue "Les Grands Chemins" pour former le groupe qui, selon ses projets, allait arpenter pendant une semaine, les sentiers de grandes randonnées. Les Cévennes à pied, le rêve! J'y avais répondu tout de suite. L'errance était pour moi un mode de vie. J'avais à peine cinq ans, pendant l’occupation allemande, alors que nous étions censés nous cacher des rafles nazies, j'aimais déjà errer seule dans la lande bretonne alors qu'à quelques kilomètres de là, la Gestapo torturait des résistants dans les sous-sols de l'école Sainte-Barbe au Faouët. Mes escapades ne semblaient pas inquiéter ma mère. Nous vivions sans peur. Ce goût de l'errance et de risque m'est resté.

 

 

Les années soixante-dix étaient le temps des virées dans diverses parties du globe, ponctuées de rencontres amoureuses sans lendemain. Cet été là, j'avais de fortes raisons de fuir. La fin d'une relation amoureuse particulièrement éprouvante m'avait laissée vidée d'énergie. Je m'en étais remis à ce Philippe qui s'improvisait guide de randonnée de grands chemins. Nous ne nous étions pas rencontrés à Paris et n'avions même pas fait connaissance avant de partir. L'inconnu  m'attirait : un homme que je ne connaissais pas, un lieu où je n'avais jamais été, une destination que je n'avais pas repérée sur une carte.

 

 

Après une nuit de train, dès ma descente à la gare d'Alès, je me suis sentie malade : des nausées, des spasmes d'estomac. Gênée de me montrer dans cet état, j'allai vomir derrière un mur.

 

 

Les deux hommes que je rencontrai dans un petit café du pays venaient eux-mêmes de faire connaissance, pourtant ils se sentaient à l'aise ensemble. Face à moi, ils faisaient bloc.

 

 

Nous nous sommes engagés sur le GR en direction des plateaux de la Grande Combe. A l'époque, j'ignorais tout des équipements savamment étudiés pour le confort des marcheurs que l'on pouvait trouver dans des magasins spécialisés genre "Vieux Campeur" . Pour ce type d'achat, je ne connaissais que le marché aux puces de Saint-Ouen où mes parents avaient une boutique. J'avais acheté un sac à dos dans un  surplus américain, pensant avoir fait une bonne affaire. Il m'avait déjà bien labouré le dos l'année d'avant, dans les Cornouailles, sans que j'en eusse tiré les conséquences. Pour ce qui était des chaussures, c'était une récupération, godasses  classiques moyenne montagne. Au bout de quelques kilomètres, elles m'étaient une torture, douloureuse surprise ; pourtant  elles étaient à la bonne pointure…

 

 

Les deux hommes marchaient de front et lorsqu'ils s'arrêtaient pour déjeuner sur le bord du chemin, ils le faisaient de bon appétit, devisant gaiement, sortant de leur sac une bouteille de vin. Ils me faisaient l'effet de joyeux luron; pour peu, ils auraient chanté une chanson à boire. Je ne comprenais rien de ce qu'ils se disaient entre eux et ne participais pas à leurs conversations. La souffrance de mon corps captait toute mon attention. Ils ne m'adressaient pas la parole. J'avais très peu de provision de bouche ayant choisi de charger le sac de livres plutôt que de nourriture. D'ailleurs je n'avais pas faim.

 

 

Je devais faire triste mine car arrivée au refuge le premier soir, l'aubergiste décida que je n'étais pas en état de reprendre le chemin le lendemain matin. Un bon père, quoi! Il obtint  de mes compagnons de ne repartir que le surlendemain. Je n'avais rien demandé.

 

 

Autour de l'auberge, aucune habitation n'était en vue. Les plateaux succédaient aux vallées. Je n'avais rien  à faire : ce fut une journée de grâce, tranquille et ensoleillée. Une joyeuse bande de jeunes filles et garçons s'étaient retrouvés sur un terrain plat derrière la maison pour jouer au ballon. Je savourais le spectacle. La fille de l'aubergiste était belle et son bonheur tout simple d'aimer la vie attirait tout ce monde autour d'elle.

 

 

Le matin suivant, nous entamions le troisième jour de notre voyage. Je marchais d'un pas extrêmement lent, à quelque cent mètres de distance, derrière Philippe et Bernard, ne réussissant à les rattraper qu'à la pause déjeuner. Ils devaient s'arranger pour ne pas augmenter davantage la distance qui nous séparait. Je ne m'en souciais pas mais j'étais soulagée quand, à un coude du sentier, je les apercevais au loin. Je n'aurais pas aimé être abandonnée sur le GR.

 

 

En fin d'après-midi, nous sommes arrivés sur une route départementale très fréquentée. Philippe et Bernard se sont amusés à se faire prendre en auto-stop. Nous avions rendez-vous, eux et moi, à Villefort.

 

 

Dans la vieille ville, perchée sur un piton rocheux,  il y avait grande animation. La terrasse où je m'étais installée était pleine de monde. Les voix joyeuses, l'exubérance  des gens, manifestation d'une vie d'insouciance et de gaieté , me ramenaient à la vie..   

 

Depuis que je m'étais mise en route, douloureuse dans mes chaussures, dans mon dos, dans mon cœur, me vidant de tout le superflu de chair pour ne plus être que d'os, enfermée dans mon mutisme, j'avais marché comme somnambule... Etrangère à moi-même, étrangère au monde extérieur,  anesthésiée à tout ce qui n'était pas ma souffrance. Mettre un pas devant l'autre avait été ma seule préoccupation.

 

 

A Villefort, tout a changé. Philippe et Bernard m'adressaient la parole. Ils me racontaient que les occupants de la voiture qui les avait chargés leur avaient proposé un gîte. Une aubaine dans cette petite ville très peuplée de touristes et sous-équipée en hébergement. Ils me racontaient que les occupants de la voiture allaient venir me voir pour faire ma connaissance...

 

 

Ils arrivaient justement et se dirigeaient vers ma table. Je croyais rêver! Nous nous connaissions. Nous avions joué ensemble dans une pièce de théâtre au TEP. Ils avaient une vingtaine d'années de moins que moi et nous avions beaucoup à échanger.

 

 

Sébastien s'orientait vers le social, en marge d'une famille grande bourgeoisie, Céline, ainée d'une famille de dix enfants était étudiante en faculté. Ils avaient réunis une petite bande organisée en association ayant pour objet la restauration du lieu où ils séjournaient.

 

 

Ils m'ont acceptée dans leur groupe. A leur contact, je suis redevenue un être humain non plus le fantôme de moi-même.  Aux yeux de ces jeunes gens, j’étais quelqu’un d’intéressant,   riche en expériences, qui avait quelque chose à dire, à apporter au monde. J'ai mis mes chaussures dans un coin, décidée de ne plus les porter. Philippe et Bernard sont repartis, moi je suis restée  à Villefort, hébergée par mes amis, pour panser mes plaies de corps et de cœur.

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