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histoires d'hier et d'aujourd'hui
4 juin 2010

Sylvie Niesenbaum

J’entrMarie_en_5_meai en Sixième le 1er octobre 1949. A cette époque, il n’y avait à Blanc-Mesnil qu’un seul Cours Complémentaire  qui comportait quatre classes, de la Sixième à la Troisième. La Sixième à l’Ecole Jules Ferry était une classe surchargée. Mlle Suderel, l’Enseignante,  termina sa carrière en Maison de repos, les nerfs épuisés d’avoir trop souvent déclamé « La Mort et le Bûcheron », devant une trentaine de petites filles, qui se tordaient de rire.  Mes résultats scolaires étaient désastreux et pourtant , je fus admise en Cinquième. Les effectifs avaient fondu et nous commencions à mieux nous connaître, entre nous, les filles. Dans cette classe, il y avait deux juives : Sylvie Niesenbaum et moi. Elle avait sa place au deuxième rang, du côté de la porte, moi du côté de la fenêtre. Brillante en tout, elle avait l’estime et l’admiration des deux Enseignantes principales. Sylvie était juste ce que je n’étais pas.  Les cheveux bruns ondulant autour de son visage, les traits d’une grande douceur, la peau mate : elle était jolie. Ses parents étaient coiffeurs. Mon père était chiffonnier ; il faisait la « chine » dans les beaux quartiers et ramenait une cargaison d’objets de récupération dans sa charrette à cheval : sacs de chiffons, chutes de métaux, lits et poêles cassés... Elle, toujours bien mise, moi nippée de  fripes, surplus américains trouvés au marché aux puces. Elle, issue d’un foyer paisible et propre, moi, vivant dans une maison de parpaings hideuse, dont l’intérieur sans confort n’était que laideur  et désordre. Sylvie arrivait en classe, tranquille avec ses cahiers impeccables et sachant ses leçons par cœur. Moi, j’arrivais sans avoir fait mes devoirs ni appris mes leçons puisqu’il n’y avait dans la maison pas un seul endroit où poser un cahier ou un livre de classe.

 En Quatrième, Sylvie Niesenbaum n’était plus des nôtres. Ses parents avaient choisi de la retirer du Cours Complémentaire pour la faire admettre dans un Lycée. Un Lycée…ça sonnait chic ! Il y eut comme un grand vide dans la classe. Même les Enseignantes en ont été peinées. Sans Sylvie, c’était comme si soudain le niveau de la classe avait baissé. Je partageais ce sentiment, humiliée que notre Ecole ne fut pas assez bien pour elle.  Cette Ecole que j’aimais, où se déroulait ma vraie vie, cette Ecole qui m’apportait la sécurité morale, le seul lieu où j’existais vraiment à égalité avec les autres, recevant la même attention des Enseignants que toutes les autres.

 

Sylvie Nisenbaum, Je ne l’ai jamais revue. Elle n’est jamais venue nous voir, nous, ses anciennes camarades. Pour moi, elle fut une énigme, comme une étoile filante, un être lumineux dans un après-guerre sinistre. Pas sûr qu’elle ait été bien réelle, peut-être seulement  une idée, une abstraction, un symbole. Qu’elle ait vécu dans cette classe en même temps que moi sans jamais m’adresser la parole, ou trop peu pour que je m’en souvienne, fut pour moi une profonde douleur, presque un traumatisme. Mon désir secret était que Sylvie s’intéresse à  moi tout spécialement, qu’elle me témoigne une vraie sympathie, qu’elle me fasse connaître ses parents. Les miens étaient fermés sur leur immense détresse d’avoir perdu toute la famille restée à Varsovie. Sylvie Niesenbaum aurait dû m’aimer, elle ne m’aima pas, ce qui déclencha en moi un sentiment qui ne me quitta jamais, celui d’accepter de n’être jamais aimée de personne, et surtout pas de ceux dont j’étais amoureuse, comme je l’avais été de Sylvie Niesenbaum.

 

Les autres camarades, elles qui n’étaient pas juives, m’avaient adoptée comme compagne de jeux, telle la petite Janine Lanneaud qui m’invita chez elle pour son anniversaire, en même temps que les autres de la classe, un merveilleux souvenir qui a déterminé mes fréquentations par la suite.

 

Il y a quelques années, j’ai rencontré une ancienne habitante de Blanc-Mesnil, Liliane Lelaidier-Marton. Elle est l’auteur d’un ouvrage « A l’ombre de l’Etoile » où elle raconte comment son  père fut interné à Drancy en tant que Juifs. Elle avait fréquenté l’Ecole Jules Ferry bien avant moi. Elle connaissait les Nisenbaum. Comme je lui disais, au cours de notre conversation combien j’admirais Sylvie Niesenbaum, son commentaire tomba glacial: « Sylvie Niesenbaum ? Elle n’avait rien de spécial ! ». 

 Pour cette vieille dame, militante communiste, proche des vieux pontifs du Parti, convaincue, à plus de quatre-vings ans, de sa mission auprès des « Sans-Papiers », avec l'idée qu'elle avait trouvé de l'aide auprès des Camarades au moment des persécutions et que son Devoir était de rendre la pareille, une Sylvie Niesenbaum n’était qu’une petite bourgeoise  : « vraiment rien de spécial !».

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Lire sur le blog "l"Ecole de mon enfance" publié" le 14/01/11

 

 

 

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