Sylvie Niesenbaum
En Quatrième, Sylvie Niesenbaum n’était plus des nôtres. Ses parents avaient choisi de la retirer du Cours Complémentaire pour la faire admettre dans un Lycée. Un Lycée…ça sonnait chic ! Il y eut comme un grand vide dans la classe. Même les Enseignantes en ont été peinées. Sans Sylvie, c’était comme si soudain le niveau de la classe avait baissé. Je partageais ce sentiment, humiliée que notre Ecole ne fut pas assez bien pour elle. Cette Ecole que j’aimais, où se déroulait ma vraie vie, cette Ecole qui m’apportait la sécurité morale, le seul lieu où j’existais vraiment à égalité avec les autres, recevant la même attention des Enseignants que toutes les autres.
Sylvie Nisenbaum, Je ne l’ai jamais revue. Elle n’est jamais venue nous voir, nous, ses anciennes camarades. Pour moi, elle fut une énigme, comme une étoile filante, un être lumineux dans un après-guerre sinistre. Pas sûr qu’elle ait été bien réelle, peut-être seulement une idée, une abstraction, un symbole. Qu’elle ait vécu dans cette classe en même temps que moi sans jamais m’adresser la parole, ou trop peu pour que je m’en souvienne, fut pour moi une profonde douleur, presque un traumatisme. Mon désir secret était que Sylvie s’intéresse à moi tout spécialement, qu’elle me témoigne une vraie sympathie, qu’elle me fasse connaître ses parents. Les miens étaient fermés sur leur immense détresse d’avoir perdu toute la famille restée à Varsovie. Sylvie Niesenbaum aurait dû m’aimer, elle ne m’aima pas, ce qui déclencha en moi un sentiment qui ne me quitta jamais, celui d’accepter de n’être jamais aimée de personne, et surtout pas de ceux dont j’étais amoureuse, comme je l’avais été de Sylvie Niesenbaum.
Les autres camarades, elles qui n’étaient pas juives, m’avaient adoptée comme compagne de jeux, telle la petite Janine Lanneaud qui m’invita chez elle pour son anniversaire, en même temps que les autres de la classe, un merveilleux souvenir qui a déterminé mes fréquentations par la suite.
Il y a quelques années, j’ai rencontré une ancienne habitante de Blanc-Mesnil, Liliane Lelaidier-Marton. Elle est l’auteur d’un ouvrage « A l’ombre de l’Etoile » où elle raconte comment son père fut interné à Drancy en tant que Juifs. Elle avait fréquenté l’Ecole Jules Ferry bien avant moi. Elle connaissait les Nisenbaum. Comme je lui disais, au cours de notre conversation combien j’admirais Sylvie Niesenbaum, son commentaire tomba glacial: « Sylvie Niesenbaum ? Elle n’avait rien de spécial ! ».
Pour cette vieille dame, militante communiste, proche des vieux pontifs du Parti, convaincue, à plus de quatre-vings ans, de sa mission auprès des « Sans-Papiers », avec l'idée qu'elle avait trouvé de l'aide auprès des Camarades au moment des persécutions et que son Devoir était de rendre la pareille, une Sylvie Niesenbaum n’était qu’une petite bourgeoise : « vraiment rien de spécial !».
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Lire sur le blog "l"Ecole de mon enfance" publié" le 14/01/11