Retour des amours perdus

Florence Noiville publie en première page du « Monde des Livres » du 7 janvier 2011, un article intitulé « Yehoshua Kenaz  Effrois amoureux ».  L’article rend compte de l'oeuvre de l'écrivain, en particulier « Retour des amours perdues « qui vient d’être traduit en français.

Cette lecture a réveillé en moi non pas des effrois amoureux mais de vieilles angoisses. Celles de mon enfance lorsque nos parents se querellaient en Yiddish, ce qui arrivait quotidiennement. Seuls juifs au milieu d’un quartier de Polonais, notre environnement nous était hostile. « Sale juive, tu as tué Jésus » m’avait lancé une petite voisine de huit ans. Notre  famille vivait fermée sur elle-même,  minée de l’intérieur par un climat de violence. Après de courtes absences, nous revenions à la maison avec des fantasmes de catastrophes dans nos petites têtes. 

Lors d’un entretien avec Nathalie Jungermann, publié sur Internet en 2004, l’écrivain livre ses appréhensions : «La seule certitude, c'est qu'un danger plane. Un malaise, une peur diffuse :  l'extrême droite, les religieux, l'intolérance, la xénophobie, tout ça est effrayant. Parfois, je suis désespéré. Ça devient de plus en plus impossible ». Paradoxe d’Israël. La vie y est intense, les gens se passionnent pour ce qu’ils font, ils sont dynamiques et créatifs, et derrière tout ça, de l’hostilité, des menaces fissurent les certitudes des êtres aux nerfs fragiles et au cœur sensible.

Récemment, j’ai reçu un choc : des gens que je connais bien se sont déclarés antisionistes. Pour moi, antisioniste équivaut à un anti-sémitisme qui ne s’avoue pas, avec l’arrière-pensée qu’Israël est illégitime et n’aurait jamais dû exister. Voilà qui détruit une relation amicale  à jamais. « Il y a des mots qui s'insinuent dans votre coeur comme des vers.»(1)
 

Dans le  »Retour des amours perdues »,   on suit les déambulations  de quelques personnages, ce qui leur arrive, ce qu’ils  pensent, comment ils s’expriment.  Il y a ceux qui occupent l’immeuble et les autres : l’homme d’affaires qui gère une agence immobilière, un couple désespéré car leur fils a déserté l’armée, la grand-mère qui protège le jeune homme,  l’oncle qui intervient pour trouver ses solutions. Les personnages me touchent, ils me sont proches dans la vérité de leurs sentiments, leurs émotions, l’authenticité de leur vie quotidienne :  ils ne simulent rien, ne cachent rien de leur faiblesse, de leur impuissance, de leurs erreurs.

Dans un autobus, deux  inconnues racontent une histoire : une femme est abandonnée par son amant alors qu’elle est enceinte. Désespérée, elle va consulter un Marabout pour obtenir le retour de l’être aimé.  «Le retour des amours perdues «  est l’enseigne de l’officine. Suite aux rituels secrets opérés par le magicien, l’amant lui revient. C’est bien lui mais en même temps, ce n’est pas lui. Celui-là est très amoureux, il ne veut plus la quitter, même pour un court instant, sous peine de mourir, dit-il. Il se fait menaçant. La femme doit retourner chez le marabout pour être libérée de la créature.

Le folklore yiddish est riche en légendes où des esprits malins s’acharnent sur les vivants, s’expriment par leur bouche, jusqu’à égarer leur esprit. Il existe des incantations pour se prémunir contre eux : le port d’amulettes par exemple. Le phénomène le plus connu est le Dibbouq (2) .  Il a inspiré quelques œuvres littéraires dont la  plus célèbre est la pièce théâtre de S.An-ski,   adapté au cinéma.

(1)     citation de Y. Kenaz

(2) Le Dibbouk, un terme venu de la cabale signifiant la possession par un esprit malin. Selon les croyances, il s'agit soit d'une âme damnée, qui s'insinue dans le corps d'un vivant pour expier ses péchés, soit de l'âme d'une victime de l'injustice, qui entre dans le corps d'un proche pour réclamer la réparation de l'offense.