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histoires d'hier et d'aujourd'hui
3 février 2016

Trois frères

Des onze enfants de Berek et Riwka, seuls Abraham et Szyja, échappent à la fureur meurtrière des nazis. 

FRERES2

 

 L'aîné, mon oncle Abraham a 23 ans en 1920. Avec son épouse Mary 21 ans, ils traversent l'Europe depuis Varsovie jusqu'au Havre. Ils s'embarquent le 25 décembre sur le « SS la Lorraine » en même temps que 1.114 passagers. Débarqués, ils sont parqués à Ellis Island pour les contrôles d'usage comme des milliers d'immigrants avant eux.

BATEAU 2

 Autorisé à quitter Ellis Island, le couple, leur bébé Lilian et un enfant à venir ( Saul Max , le 25 décembre 1921) sont accueillis par le frère de Mary installés à New York depuis peu.

 Située tout près de la statue de la Liberté et non loin de Manhattan, Ellis Island est l'avant-poste des services américains de l'immigration dans la Baie de New York, Après quelques heures d'inspection et d'interrogatoires, les immigrants sont libres de fouler le sol américain. Dans le petit livre « Elis Island » Georges Perec rappelle brièvement l'histoire de l'établissement. Sur les 12 millions d'immigrants contrôlés par les Services d'Ellis Island, entre 1892 à 1954, 2% sont refoulés pour des raisons diverses : maladie, opinions, anomalies physiques ou mentales.

ellis island

 Mon oncle Moizek né à Varsovie le 5 octobre 1 897 quitte son foyer vers l'Ouest. Après une étape à Metz où son épouse accouche d'une fille, Jeti, le 23 février 1923, la famille monte à Paris. Une deuxième fille naît, Marie le 15 août 1928. Je retrouve sa trace sur les fiches d'arrestation de la Préfecture de Police. La famille habitait 14 rue Demarquay, un appartement dans un immeuble bourgeois. 

 En 1929, mon père a 22 ans. Il quitte Varsovie avec sa compagne. Le couple fait étape pour quelques mois à Berrenrath (Allemagne ) où notre tante avait un petit commerce puis  poursuit le voyage jusqu' à Paris et  trouve à se loger Passage des Fours-à-chaux où vit une forte communauté juive. Le12 octobre 1930 naît ma soeur Hélène. Un extrait de l'acte de mariage atteste que mes parents se marient le 17 janvier 1931à la Mairie du 20ème arrondissement .

 Tournant le dos à Ellis Land, Abraham est partant pour une nouvelle vie. L'« American way of Life   », c'est son affaire . Rapidement, il saisit l'essentiel de la langue (sans perdre l' accent yiddish). La famille s'agrandit avec la naissance d'Herman, 1927. Abraham trouve à s'employer comme peintre en bâtiment. La fiche de recensement de 1930 situe le couple à Brooklyn. En 1933, il est propriétaire d'une Entreprise « New Modern Painting and Decorating Co ». En 1939, un incendie détruit les locaux. En 1940, il acquière un vieux casino à Monticello, situé au nord de New York. Il construit un ensel aménage l'nvironnement : espaces, aire de jeux; creuse une piscine de ses propres mains.

 Fin des années trente, Szyja, mon père, achète un terrain 37 rue des champs , Blanc-mesnil (Seine-et-Oise) . Il construit une baraque à la hâte, y installe femme et enfants et, le 25 octobre 1939, part s'engager dans la Légion étrangère.  Le 16 mars 1940 , il est 23 heures, ma mère est sur le point d'accoucher de son cinquième enfant. Les voisins sont alertés par  ma sœur aînée; ils appellent un médecin. La maman et la marmaille sont hospitalisés dans l'heure à l'hôpital d'Eaubonne. Aucune nouvelle du père depuis la fin de sa permission le Noël 1939.

 Les visites de mes oncles sont extrêmement rares.

Après la naissance de son dernier-né, ma mère, en pleine détresse,   appelle à l'aide son beau-frère Moizek. Il accourt. Il ne trouve là que précarité, délabrement, extrême misère, enfants en danger. Bouleversé, il n'a que mépris pour son frère. Nous ne le reverrons plus.

 Moizek peut se vanter de s'être bien mieux débrouillé. Sa première fille Jeti dix-sept ans ; est mariée, un bébé est à venir. La deuxième, Marie, 12 ans, fréquente l'école. Moizek est serein.

Deux ans passent sans qu'il se manifeste. Par un hasard tragique, mon père le reconnaît dans un camion en route vers Drancy. Huda, la maman, Jeti avec son bébé, Michel, et Marie sont arrêtés peu après. Cette famille n' avait pour moi aucune existence jusqu'à ce que je trouve sa trace dans les archives de la Préfecture de Police de la Seine.

 Mon oncle Nat fait la traversée juste après la Libération. Dans l'euphorie des retrouvailles, ils font une virée jusqu'à la Côte d'Azur. C'est raté. La France, c'est nul : hôtels médiocres, sans le confort d'une véritable salle de bain, accueil déplaisant. De surcroît, Abraham  ne participe pas aux frais, pour la raison qu'il n'a que des dollars en poche....

 Plus tard mon père lui rend la visite à New York. Il revient dépité... il raconte : « le matin, je m'étonne qu'il ne soit pas prévu de déjeuner. Mat m'envoie en bas de l'immeuble . Là, il y a de quoi déjeuner... » .

 En 1946, le couple vit à Miami Beach , Floride Drake Hotel Collins Avene. Mary meurt en 1956. Abraham se remarie plusieurs fois. Sa dernière épouse est Molly. En 1970, j'ai croisé Abraham en visite chez sa fille Lilian. Il semblait très épris de sa compagne : femme élégante et cordiale. Leur passion commune était la danse : le Cha-Cha-cha

Dans les archives d'Ellis Island on note que Abraham Fuhrceig(!) est déclaré « Ethnicité: Polish-Hebrew". En 1926, Abraham fait sa demande de naturalisation, qui est suivie d'un certificat de nationalité.

 Au moment de son arrestation « remis aux Autorités occupantes », parce que juif, le 29 avril 1942, Moizek est déclaré de nationalité polonaise, brocanteur commerçant. Huda, son épouse, « remise aux Autorités occupantes » parce que juive pour être dirigée au Vel d'Hiv, le 19 juillet 1942, est déclarée de nationalité polonaise. Sa fille Marie , 14 ans, arrêtée le 19 juillet 1942 , remise aux Autorités occupantes le 6 août 1942 est déclarée française. Jeti, mariée Gordon, est conduite à Drancy avec son nourrisson, né le 1er décembre 1942 pour être déportée le 23 juin 1943. 

 La fiche de démobilisation, établie le 6 août 1940 par le Commandant du Canton de Lyon déclare mon père de nationalité française. Ce document nous sauvera de l'arrestation lors d'un contrôle de la Gestapo dans le train vers la Bretagne en 1942. En 1947, son casier judiciaire est entaché d'une condamnation  et d'une interdiction de solliciter la nationalité française pendant 10 ans. Il obtient sa carte d'identité française en 1957, ce qui fait de lui un homme heureux

 Née à Paris ainsi que mes frères et sœurs, j'ai acquis la nationalité française en vertu d'une déclaration du 26 août 1948 devant le Juge du Tribunal d'Instance du Canton et d'Aulnay s/bois.

 En 1978, Molly meurt d'une attaque cérébrale. Abraham a 80 ans. Il prend des dispositions (vend Montecello à des juifs Hassidim) puis tente de se suicider par pendaison. Sauvé à temps et soigné, il survit. Une deuxième fois, le geste lui est fatale. De la liquidation de ses biens, il ne reste que les quelques tableaux qu'il peignait dans ses heures de loisirs ainsi que  des photographies.

 Ma mère meurt le 23 septembre 1972, à la suite d'un diabète   qui la rend aveugle. Mon père vend la maison familiale et acquière un appartement 237, rue Lafayette. A cours d'un voyage touristique dans les Baléares, il se lie avec Bella. Après quelques années de vrai bonheur, Bella meurt. Mon père tombe en dépression et ne s'alimente pratiquement plus ce qui nous conduit après une période de réalimentation à l'Hôpital à l'installer dans un studio médicalisé. Il meurt en mai 1996.

 Mon père aussi aimait la danse. Nous dansions la valse ensemble lors des bals de la commune. Il aimait le cinéma, il allait au théâtre lorsqu'une troupe ambulante passait par là. Il n'était pas rare que les beaux dimanches, il n'ouvre pas son stand aux puces de Saint-Ouen 

 

stand

mais embarque tout le monde dans sa camionnette en route pour Nogent-sur-Marne, aux multiples guinguettes au bord du fleuve. Le conte que j'ai publié sur mon blog le 7 octobre 2010 « un juif errant entre Dieu et Diable » raconte mon père dans mon imaginaire.

 

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Sur cette période, voir aussi sur le blog, mes textes :

"Les poëles Godin "29/04/2010

« Une famille à l’abri… » 01/05/2010

"La vraie vie" 01/05/2010

« Un père en question » 09/05/2010

« Une enfance heureuse » 15/05/2010

« Soldat de la Wehrmacht » 28/05/2010

"un juif errant entre Dieu et Diable" 07/06/2010

« Un enfant dans la tourmente“ 09/06/2010

« On préférait les étrangers » 19/06/2010

« « Plaque du souvenir » 16/08/2010

""Mon père, l'anti-héros" 26/08/2010

 "Le mur des Noms" 27/08/2010

   " Berek et Rywka" 17/12/10

 "Tout sur ma mère" 29/10/2013

"Un toit  l'abri des tempêtes" 20/09/2014

"Sauvetage d'une famille" 23/09/2014

"L'insoutenable Barbarie"26/03/2015

 

 

 

                                                            

 

 

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